Le premier paragraphe de Mencius (vocabulaire, notes et traduction, en cours d'édition, revenez plus tard)
Texte chinois
孟子見梁惠王王曰叟不遠千里而來亦將有以利吾國乎孟子對曰王何必曰利亦有仁義而已矣王曰何以利吾國大夫曰何以利吾家士庶人曰何以利吾身上下交征利而國危矣萬乘之國弒其君者必千乘之家千乘之國弒其君者必百乘之家萬取千焉千取百焉不為不多矣茍為後義而先利不奪不饜未有仁而遺其親者也未有義而後其君者也王亦曰仁義而已矣何必曰利
Traduction
Mencius eut une audience avec le roi Hui de Liang.
Le roi dit : « Maître, vous bravez mille lieues pour me voir, sauriez-vous enrichir mon royaume ? »
Mencius répondit : « Prince, à quoi bon parler de profit, là où il n'y a que bonté et justice. Si un prince se demande comment enrichir son royaume, ses ministres se demanderont comment enrichir leur famille, et ses gens et son peuple se demanderont comment s'enrichir eux-même. De haut en bas, chacun luttera pour le profit, et le pays sera mis en danger. Le prince d'un pays de dix mille chars sera tué par le maître de mille chars, et le prince d'un pays de mille chars sera tué par le maître de cent chars.
Pourtant, avoir mille sur dix mille, ou cent sur mille, ce n'est pas peu, mais quant on fait passer le profit avant la justice, on n'est satisfait que quand on a tout pris.
Or, il n’est pas d’homme bon qui délaisse ses proches, il n’est pas d’homme juste qui néglige son prince.
Que votre majesté ne parle que de bonté et de justice. A quoi bon parler de profit. »
Notes
Mencius (孟子 Mengzi (385-302 av JC) ) est un philosophe de l'époque des royaumes combattants (480- 221 av JC), disciple de Confucius.
Liang (梁) est un autre de nom du pays de Wei (魏), nommé ainsi éviter les homonymies avec le pays de Wei (衛), et parce qu'il avait sa capitale à Daliang. C'est un des trois états nés de la disparition du pays de Jin (晉) au cinquième siècle. Il occupait l'actuelle province du Henan, sa capitale étant proche de l'actuelle Kaifeng.
Selon Sima Qian, le roi Hui (惠) de Wei/Liang régna de 370 à 335 av J-C. Cet entretien avec Mencius est raconté dans le Shiji, et se serait déroulé (selon des Chronologie des Six Etats, chapitre 15 du Shiji) en 336 av JC. Hui est son nom posthume.
L'opposition faite par Mencius entre profit (利) et bonté et justice (仁義) est typique des confucéens. La période des royaumes combattants est souvent décrite (par des auteurs plus tardifs, en particulier ceux qui compilèrent le Mencius) comme une ére de cynisme en politique, où chacun recherche son profit personnel (en particulier dans les trois Jin). Mencius est ici décrit comme allant à contre courant (comme Confucius en son temps) en proposant un ordre fondé sur des valeurs moins vénales, justice et bonté.
La description de la puissance d'un état par le nombre de chars de guerre qu'il possède est classique. Certains commentateurs ont vu dans l'état de 10 000 chars, le royaume des Zhou, dans l'état de 1 000 chars, les pays des feudataires, et dans les états de 100 chars, les domaines des petits seigneurs. On peut donc lire ce passage comme une métaphore de l'évolution politique de la Chine depuis la fin des Printemps et Automnes : les feudataires (princes de 1000 chars) supplantant les rois Zhou (prince de 10 000 chars), avant d'être remplacé eux mêmes pas de plus petits princes. Cette allusion est très appropriée pour le royaume de Wei, dont les princes avaient éliminé la lignée du Jin, pour se partager son territoire, et s'étaient ensuite proclamés rois.
Vocabulaire
孟子 Meng4 Zi3 Mencius
見 jian4 : voir, rencontrer, se dit souvent quand quelqu'un est reçu en audience par un prince
梁惠王 Liang2 Hui4 Wang2 : Le roi Hui de Liang
王 wang2 Roi
孟子見梁惠王 Mencius eut une audience avec le roi Hui de Liang
La phrase en chinois classique a généralement une structure Sujet - Verbe - Complément, c'est le cas ici. Le titre du roi est également typique de la langue classique, là où le français dit "roi Hui de Liang", le chinois écrit en ordre inverse, du général vers le particulier.
曰 yue1 : dire, sert souvent de ponctuation (ouvre les guillemets)
王曰 Le roi dit
叟 sou3 : vieillard, terme honorifique, utilisé comme pronom de la seconde personne, pour des personnes agées ou respectbles (ici Mencius, qui avait, selon la chronologie tradionnelle 50 ans à l'époque): vous, monsieur
不 bu4 : ne .. pas
遠 yuan3, lointain, considérer comme lointain
En chinois classique, tous les adjectifs peuvent être utilisés comme verbes, avec le sens "être XXX" ou "considérer comme XXX" : 遠 = lointain, être lointain, considérer comme lointain, 善 bon, être bon, considérer comme bon (aimer)
千 qian4 : mille
里 li3 : lieue (mesure ancienne, de l'ordre de 500 mètres)
不遠千里 ne pas considérer mille lieues comme lointain
而 er2 : et, mais, cependant
來 lai2, venir, rendre visite
叟不遠千里而來 Vous, vieillard, n'avez pas considéré mille lieues comme loin, et êtes pourtant venu
亦 yi4 et, en vérité
乎 hu1 (à la fin d'une phrase) particule interrogative
亦 ... 乎 introduit une question réthorique (en vérité ..., n'est ce pas?)
將 jiang1 marque du futur proche ou de l'intention
有 you4 il y a
以 yi3 introduit un complément de moyen (au moyen de ...), ici le complément (之) est sous entendu "au moyen de quoi"
有以 = 有所以 Il y a ce au moyen de quoi
亦將有以 Certainement, il va y avoir (vous allez avoir) ce au moyen de quoi ...
利 li4 : profit
吾 wu2 : je, moi, mon, nous, notre, nos, ici mon
國 guo2 : état, pays
亦將有以利吾國乎 Vous avez sûrement ce qui profiterait à mon pays, n'est ce pas?
對 dui4 répondre
孟子對曰 "Mencius répondit", dans un discours direct, on doit toujours utiliser 曰, on ne dit pas 孟子對 "... mais 孟子對曰 Mencius répondit, disant: "...
王 utilisé comme pronom ici "vous, votre majesté"
何 he2 : pourquoi
必 bi4 : devoir
王何必曰利 pourquoi votre majesté doit elle parler de profit
仁 ren2 générosité, altruisme, bonté
義 yi4 justice, droiture
而已 er2 yi3 : et c'est tout
矣 yi2 indique la fin d'une phrase, et un changement de situation
亦有仁義而已矣 En vérité, il y a de la bonté et de la justice et c'est tout
王 wang2 roi
大夫 dai4fu2 ministres, dignitaires
士 shi4 : gentillhommes, petite noblesse
庶人 shu4 Ren2 : gens du commun
家 jia1 : maison, famille
身 shen1 : corps, soi même
何以 comment (au moyen de quoi)
王曰何以利吾國 Le roi dit " comment enrichir mon pays"
大夫曰何以利吾家 les ministres disent : "comment enrichir ma famille"
士庶人曰何以利吾身 les gentillhommes et les gens du commun disent "comment m'enrichir moi même"
En chinois classique, le discours progresse toujours du général vers le particulier, et de la cause vers l'effet. En particulier, il y a généralement une causalité (si ... alors...) impliquée à l'intérieur d'une phrase, c'est le cas ici.
王曰何以利吾國大夫曰何以利吾家士庶人曰何以利吾身
Si le roi dit "comment enrichir mon pays", alors les ministres disent : "comment enrichir ma famille" et alors les gentillhommes et les gens du commun disent "comment m'enrichir moi même.
上 shang4 : haut
下 xia4 : bas
上下 de haut en bas, dans toute la société
交 jiao1 : ensemble, l'un l'autre
征 zheng1 : disputer, lutter
利 li4 : profit
而 er2 : et
國 guo2 : pays
危 wei1 : danger
矣 yi3 : particule finale, indiquant un changement
國危 : l'état est en danger
國危矣 l'état devient/est devenu/deviendra en danger
上下交征利而國危矣 Classes supérieures et inférieures se disputeront pour le profit, et l'état sera mis en danger.
萬 wan4 : dix mille
千 qian1 : mille
百 bai3 : cent
乘 cheng2 : attelage, par ext. chars de guerre
之 zhi2 : "de" introduit une relative, en chinois, le déterminant est avant le déterminé (ordre inverse du français), par exemple
萬乘之國 un pays de dix mille chars (le chinois écrit un "dix mille chars de pays")
弒 shi4 : assassiner, tuer, employé en particulier pour le meurtre d'un prince
其 qi2 : son, sa (possessif troisième personne)
君 jun1: seigneur
者 zhe3 : particule qui rend "nom" ce qui précède ("celui qui", "ce qui")
弒其君 tuer son seigneur
弒其君者 celui qui tue son seigneur
萬乘之國 est ici un complément de lieu, "dans les pays de dix mille chars, celui qui tue son seigneur..."
必 forcément, certainement
萬乘之國弒其君者必千乘之家 Dans les pays de dix mille chars, celui qui tue son seigneur est forcément une famille de mille chars.
千乘之國弒其君者必百乘之家 Dans les pays de mille chars, celui qui tue son seigneur est forcément une famille de cent chars.
Comme précédemment, il y a probablement une relation de causalité entre ces phrases.
L'état sera mis en danger (alors) dans les pays de dix mille chars.... , (et ensuite) dans les pays de mille chars....
取 qu1 : prendre, choisir
焉 yan1 : contraction de 于之 : dans cela, parmi
為 wei2 : considérer
多 duo1 : beaucoup
不為不多矣 ne pas considérer comme pas beaucoup
萬取千焉 de dix mille, prendre mille dans ceux-ci, avoir mille de dix mille
千取百焉 avoir cent de mille
不為不多矣 on ne peut considérer que c'est peu.
茍 gou3 : mais si
後 hou4 : derrière
先 xian1 : devant
茍為後義而先利 Mais si l'on considère que l'on met en arrière la justice, et en avant le profit : mais si on fait passer le profit avant la justice
奪 duo2 : voler, prendre de force
饜 yan4 : rassasier
不奪不饜 (tant que l') on n'a pas volé, on n'est pas rassasié.
未 wei4 : pas encore
未有 : il n'y a pas encore, il n'y a jamais eu
遺 yi2 : oublier, omettre
其 qi2 : son, sa, ses, leur
親 qin1 : famille, proches
也 yet3 : finit une phrase et la rend prédicative
有 X 也 il y a X
未有 X 也 il n'y a jamais eu X
仁而遺其親 être bon, mais oublier sa famille
仁而遺其親者 une personne bonne mais qui néglige sa famille
未有仁而遺其親者也 Il n'y a jamais eu de personne bonne qui néglige sa famille.
未有義而後其君者也 Il n'y a jamais eu de personne juste qui fasse passer son seigneur en second.
王亦曰仁義而已矣 Votre majesté doit en vérité ne parler que de bonté et de justice.
何必曰利 à quoi bon parler de profit.