dimanche 22 décembre 2013

Lawrence Ferlinghetti - Goya dans ses plus grandes scènes

Goya dans ses plus grandes scènes nous semble dessiner
                                 les peuples du monde
        à l'instant précis où
              ils atteignent à la dignité
                               "d'humanité douloureuse"

Ils se tordent sur la page
          dans un véritable orage
                      de calamités

Entassés
         gémissants avec des bébés et des baïonnettes
                       sous un ciel de ciment
  dans un paysage abstrait d'arbres déchiquetés
           de statues voilées d'ailes et de becs de chauves-souris
                       de gibets glissants
           de cadavres et de coqs carnivores
  et de tous les monstres derniers hurlants
           de
                l'imagination des catastrophes
  ils ont l'air tellement réels
           que c'est comme s'ils existaient encore

Et ils existent
        seul le paysage a changé

Ils s'étalent le long des routes
        tourmentés par les légionnaires
             les faux moulins à vent et les oiseaux déments

Ce sont les mêmes peuples
      mais plus loin de chez eux
             sur des autoroutes de cinquante voies
      sur un continent de béton
             où s'espacent des panneaux naïfs
                   qu'illustrent d'idiotes illusions de bonheur

La scène a moins de tombereaux
         mais plus de citoyens en manque
               dans des voitures peintes
          ils ont d'étranges plaques d'immatriculation
       et des moteurs
                    qui dévorent l'Amérique
 
 
 
In Goya’s greatest scenes we seem to see
                                           the people of the world   
       exactly at the moment when
             they first attained the title of
                                                             ‘suffering humanity’   
          They writhe upon the page
                                        in a veritable rage
                                                                of adversity   
          Heaped up
                     groaning with babies and bayonets
                                                       under cement skies   
            in an abstract landscape of blasted trees
                  bent statues bats wings and beaks
                               slippery gibbets
                  cadavers and carnivorous cocks
            and all the final hollering monsters
                  of the
                           ‘imagination of disaster’
            they are so bloody real
                                        it is as if they really still existed

    And they do

                  Only the landscape is changed

They still are ranged along the roads   
          plagued by legionnaires
                     false windmills and demented roosters
They are the same people
                                     only further from home
      on freeways fifty lanes wide
                              on a concrete continent
                                        spaced with bland billboards   
                        illustrating imbecile illusions of happiness

                       
                        The scene shows fewer tumbrils
                                                but more strung-out citizens
                                                                     in painted cars
                               and they have strange license plates   
                           and engines
                                           that devour America

jeudi 21 novembre 2013

e.e. Cummings - Ma très chère et cetera

ma très chère et cetera
tante lucie pendant la dernière

guerre savait et mieux
encore expliquait ce
pour quoi chacun se

battait,
ma soeur

isabel produisit des centaines
(et
des centaines) de chaussettes sans
parler des chemises passe-montagnes antipoux

et cetera mitaines et cetera, ma
mère espérait que
je mourrais et cetera
comme un brave bien sûr mon père se
cassait la voix à répéter que c'était
une chance et que si seulement il
avait pu tandis que moi

même et cetera allongé tranquille
dans la boue profonde et

cetera
(rêvant
et
    cetera, de
Tes sourires
yeux genoux et de ton Et cetera)

mercredi 20 novembre 2013

e.e. Cummings - puisqu'on ressent d'abord

puisqu'on ressent d'abord
quiconque prête attention
à la syntaxe des choses
ne vous embrassera jamais vraiment;

ne sera vraiment fou
dans le Printemps du monde

mon sang approuve,
et les baisers sont un meilleur parti
que la sagesse
madame j'en fais serment par toutes les fleurs. Ne pleurez pas
- le meilleur mouvement de mon esprit vaut moins
qu'un battement de vos paupières qui dit

nous sommes l'un pour l'autre: alors
riez, reposée dans mes bras
car la vie n'est pas un paragraphe

Et la mort, je crois, pas une parenthèse


since feeling is first
who pays any attention
to the syntax of things
will never wholly kiss you;

wholly to be a fool
while Spring in is the world

by blood approves
and kisses are a better fate
than wisdom
lady i swear by all flowers. Don't cry
- the best gesture of my brain is less than
your eyelid's flutter which says

we are for each other: then
laugh, leaning back in my arms
for life's not a paragraph

And death I think is no parenthesis

mercredi 13 novembre 2013

Haizi - le soleil d'Arles


Le soleil d’Arles*

A mon grand frère maigre
(Tout ce que j'ai fait sur nature, c'est des marrons pris dans le feu. Ah! Ceux qui ne croient pas au soleil d'ici sont bien impies.) **


Partir au Sud
Partir au Sud
Il n’y a dans ton sang ni amour ni printemps
Ni clair de lune
Jamais assez de pain
Et encor moins d’amis
Il y a seulement ces pauvres enfants qui dévorent tout
Van Gogh, Oh Van Gogh, mon grand frère maigre
Jailli de la terre
Comme un volcan, insouciant
Est-ce un murier, un champ de blé
Ou bien est-ce toi
Qui surgit de l’excès de ces temps de misère
En vérité, ton œil unique illumine le monde
Mais c’est le troisième œil qu’il te faut employer, le soleil d’Arles
Embrase les étoiles en un torrent vulgaire
Embrase la terre qui tourne
Comme une main levée en un spasme jaune, les tournesols
Invitent ceux qui tirent les marrons du feu
Tu ne montreras plus le Christ aux oliviers
Si tu dois peindre peins l’olive qu’on récolte
Peins cette boule de feu
Remplace notre père dans les cieux
Et lave nos existences
Grand frère aux cheveux roux, finis ton absinthe
Et allume ce feu
Embrase

 (Avril 1984)

 * Arles est une petite ville du Sud de la France où Van Gogh peignit des dizaines de toiles, c’est son âge d'or.
** extrait de lettres de Van Gogh à son frère Théo


阿尔的太阳 *
——
给我的瘦哥哥

一切我所向着的自然创作的,是栗子,从火中取出来的。啊,那不信仰太阳的人是背弃了神的人。**

到南方去
到南方去
你的血液里没有情人和春天
没有月亮
面包甚至都不够
朋友更少
只有一群苦痛的孩子,吞噬着一切
瘦哥哥凡·高,凡·高啊
从地下强劲喷出的
火山一样不计后果的
是丝杉和麦田
还是你自己
喷出多余的活命的时间
其实,你的一只眼睛就可以照亮世界
但你还要使用第三只眼,阿尔的太阳
把星空烧成粗糙的河流
把土地烧得旋转
举起黄色的痉挛的手,向日葵
邀请一切火中取栗的人
不要再画基督的橄榄园
要画就画橄榄收获
画强暴的一团火
代替天上的老爷子
洗净生命
红头发的哥哥,喝完苦艾酒
你就开始点这把火吧
烧吧

1984.4
—————————————
   * 阿尔系法国南部一小镇,凡·高在此创作了七八十幅画,这是他的黄金时期。——海子自注。
  ** 摘自凡·高致其弟泰奥书信。

 

samedi 26 octobre 2013

Haizi - Cuivre d'Asie

Cuivre d’Asie

Cuivre d’Asie, cuivre d’Asie
Grand père est mort ici, mon père est mort ici, et je mourrai ici
Tu es le seul endroit où l’on enterre

Cuivre d’Asie, cuivre d’Asie
Ce qui aime douter et puis s’envole, c’est l’oiseau ; ce qui submerge tout, l’eau de la mer
Ton seul seigneur, c’est l’herbe verte, qui loge sur ton dos chétif, et conserve les paumes et les secrets des fleurs sauvages

Cuivre d’Asie, cuivre d’Asie
As-tu remarqué ? ces deux colombes sont deux chaussures blanches que Qu Yuan oublia sur la grève
Afin que nous --- cette rivière et nous, puissions les porter

Cuivre d’Asie, cuivre d’Asie
Quand les tambours se taisent, nous appelons ce cœur qui danse dans le noir : clair de lune
Ce clair de lune que tu composas.

(Octobre 1984)


亚洲铜

亚洲铜 亚洲铜
祖父死在这里 父亲死在这里 我也会死在这里
你是唯一的一块埋人的地方

亚洲铜 亚洲铜
爱怀疑和飞翔的是鸟 淹没一切的是海水
你的主人却是青草 住在自己细小的腰上 守住野花的手掌和秘密

亚洲铜 亚洲铜
看见了吗? 那两只白鸽子 它是屈原遗落在沙滩上的白鞋子
让我们——我们和河流一起 穿上它吧

亚洲铜 亚洲铜
击鼓之后 我们把在黑暗中跳舞的心脏叫做月亮
这月亮主要由你构成