mardi 28 juillet 2015

Sandburg - Le peuple, oui - I

Des quatre coins de la terre
De coins battus par le vent
Perclus de pluie et de tonnerre
D'endroits où commencent les vents
Où naissent les brouillards et leurs brumeux enfants
Des grands hommes sont venus de grands versants rocheux
Et des hommes assoupis des vallées assoupies
Leurs femmes grandes, leurs femmes assoupies
Avec ballots et biens
Et des petites qui balbutient: "où maintenant? et après?"

Le peuple de la terre, la famille de l'homme
A voulu édifier ce dont il serait fier
Une tour qui des plates landes de la terre
Monterait à travers le plafond jusqu'au sommet des cieux

Et le grand œuvre a commencé
Semelles et poteaux enfoncés
murs, planchers, spires d'escaliers
dressés vers les astres, tout là haut
dressés bien au delà des échelles lunaires.

Et Dieu Tout Puissant aurait pu les abattre
ou les frapper sourds et muets

Mais Dieu était un patron farceur
Dieu était un chef attentif
Qui avait autre chose en tête

Et soudain mélangea leurs paroles
changea les langages des gens
pour que chacun parle différemment

Et le maçon ne savait plus ce que disait le portefaix
Au charpentier l'apprenti tendait le mauvais outil
Cinq cents façons de dire "Q u i e s t u ?"
changèrent la façon de demander: "que fait-on maintenant?"
ou de dire "naître n'est qu'un début"
ou "plutôt chanter que faire ce raffut"
ou "ce que tu ne sais pas ne saurait te nuire"
Et les magasiniers se mirent à se quereller
avec les bandes de porteurs et les guildes de bâtisseurs
et les architectes s'arrachèrent les cheveux sur leurs plans
et les briquetiers et les écorcheurs de mules le rapportèrent
aux patrons de paille qui le rapportèrent aux contremaîtres
et les signaux se mélangèrent; les ouvriers qui remplissaient les seaux
sifflèrent les porteurs - et l'ouvrage fut en ruine

Certains l'appelèrent Tour de Babel
Le peuple lui donna beaucoup d'autres noms
Ses ruies s'élevaient telles un crâne ou un spectre
un témoignage à peine commencé
qui penchait et pendait aux grand vents ennemis
maintenu par de doux vents amis.

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