dimanche 22 juin 2014

PG Wodehouse - Bien bien, Jeeves - Chapitre VII

Je méditai assez librement cet après-midi-là, roulant vers Brinkey au volant du bon vieux coupé. La nouvelle de la dispute, voire, de la rupture entre Angela et Tuppy m’avait fortement perturbé.

C’est que, voyez-vous, j’avais toujours considéré très favorablement ce projet d’union. Trop souvent, quand un garçon de votre entourage s’apprête à épouser une fille que vous connaissez, vous vous retrouvez à froncer le sourcil ou à vous mâchouiller la lèvre inférieure, dubitatif, songeant qu’il vaudrait peut-être mieux les prévenir, lui, elle ou les deux, tant qu’il est encore temps.

Mais je n’avais jamais rien ressenti de pareil pour Angela et Tuppy. Tuppy, quand il ne fait pas l’imbécile, est le genre de gars sérieux. Tout comme Angela est plutôt sérieuse. Et pour ce qui est de leurs amours, il m’a toujours semblé qu’on ne se trompait pas de beaucoup en les décrivant comme deux cœurs battant à l’unisson.
Bien sûr, ils avaient eu leurs petites chamailleries, notamment la fois où Tuppy – avec ce qu’il appelait une courageuse franchise, qui me paraissait avant tout une stupidité patente - avait expliqué à Angela que son nouveau chapeau la faisait ressembler à un pékinois. Mais toutes les histoires d’amour ont leur quota d’accrochages, et après cet incident, je m’étais dit qu’il avait retenu la leçon, et que désormais leur vie ne serait qu’une grande et belle mélodie.

Et voilà que cette rupture parfaitement inopinée des relations diplomatiques était sortie de sa boîte.

Pendant toute la route, je consacrai à l’affaire la crème de l’esprit des Wooster, mais n’arrivai toujours pas à deviner ce qui avait pu déclencher les hostilités. Aussi, je balançai consciencieusement le pied contre l’accélérateur, pour arriver aussi rapidement que possible chez tante Dahlia, et y apprendre le fin mot de l’histoire de l’homme qui avait vu le loup. Et poussé par mes six cylindres, je fis un bon temps et me retrouvai enfermé avec ma parente, un peu avant l’heure du cocktail du soir.

Elle semblait heureuse de me voir. En fait, elle affirma même être contente de me voir – propos qu’aucune autre de mes tantes n’aurait pu tenir, la réaction habituelle de ces chères et proches au spectacle de Bertram arrivant en visite étant une sorte de terreur dégoûtée.

« C’est gentil de ta part d’être venu en renfort, Bertie, dit elle.
- Ma place est à vos côtés, tante Dahlia », répondis-je.

On voyait au premier coup d’o. que cette malheureuse affaire la travaillait sans ambages. Sa superficie, habituellement joyeuse, était embrumée, et son sourire joyeux brillait par son abs. Je lui serrai la main avec sympathie, pour lui montrer que mon cœur saignait pour elle.

« Méchante affaire que celle-là, ma chère vieille apparentée, dis-je. Je crains que vous n’ayez passé un sale moment. Vous devez être soucieuse… »

Elle renifla avec émotion. Elle avait l’air d’une tante qui vient de gober une huître pas fraîche.
« Soucieuse est le mot. Je n’ai pas eu un instant de calme depuis que je suis rentrée de Cannes. Depuis que j’ai franchi cette saloperie de seuil, dit tante Dahlia, revenant pour l’occasion son sympathique argot de chasseurs, tout est en vrac. D’abord, il y a eu cette embrouille avec la distribution des prix. »

Elle s’interrompit là et me jeta un regard noir.
« J’avais prévu de te parler franchement de ton comportement dans cette affaire, Bertie, dit-elle. J’avais préparé toutes sortes de belles choses. Mais puisque tu es venu à notre secours, comme cela, je crois que je vais devoir t’en faire grâce. Et, de toute façon, c’est probablement une bonne chose que tu te sois soustrait à tes obligations de cette manière répugnante de lâcheté. J’ai le sentiment que ton Spink-Bottle sera très bien, s’il arrive seulement à ne pas parler de tritons.
- Il a parlé de ses tritons.
- Oui. En me fixant, l’œil brillant, comme le vieux marin du poème. Mais si c’était le pire que j’avais dû supporter, ce ne serait pas grave. Ce qui m’inquiète, c’est ce que Tom raconte quand il commence à parler.
- L’oncle Tom ?
- Je veux bien que tu l’appelles n’importe comment, mais pas « Oncle Tom », dit tante Dahlia, un peu agacée. A chaque fois que tu le fais, je m’attends à le voir devenir tout noir, et se mettre à jouer du banjo. Oui, oncle Tom, comme tu dis. Je vais bientôt devoir lui parler de tout l’argent que j’ai perdu au baccarat, et quand il sera, il va grimper au ciel.
- Mais peut-être que le Temps, qui guérit tout…
- Temps qui guérit tout mon œil. J’ai besoin qu’il me signe un chèque de cinq cents livres pour le Boudoir de Milady le trois Août au plus tard. »

J’étais préoccupé. Au-delà de l’intérêt naturel qu’un neveu porte à l’hebdomadaire précieux de sa tante, j’avais, dans mon cœur, un faible pour le boudoir de Milady depuis que j’y avais fait paraître cet article sur Ce Que Porte l’Homme Bien Mis. Du sentimentalisme, probablement, mais nous sommes cela, nous, les vieux journalistes.

« Le Boudoir est sur la paille ?
- Il le sera si Tom ne crache pas. Il a besoin d’aide tant qu’il n’aura pas passé le cap.
- Mais il n’était pas en train de le passer il y a deux ans ?
- Il l’était, et il l’est toujours. Tant que tu n’as pas dirigé un hebdo féminin, tu ne peux pas savoir ce que c’est qu’un cap.
- Et vous pensez que les chances que l’Oncle – que mon oncle par alliance, les lâche sont faibles ?
- Je vais te dire, Bertie. Jusqu’ici, quand une subvention était nécessaire, j’arrivais toujours à aborder Tom sur le ton aimable et assuré dont un enfant unique demande à un père généreux de la crème au chocolat. Mais il a reçu il y a peu un redressement du trésor public pour la somme de cinquante-huit livres et treize pence, et depuis que je suis rentrée, tout ce dont il parle c’est de ruine, des habitudes désastreuses de ce pouvoir socialiste, et de la faillite qui nous guette. »

Je me le figurai aisément. Ce Tom a une manie qui j’ai remarquée chez d’autres personnes pleines au as. Piquez lui la plus ridicule des sommes, et il poussera un braillement qu’on entendra au Bout du Monde. Il en a des paquets, mais il déteste s’en séparer.

« S’il n’y avait pas la cuisine d’Anatole, je ne sais pas s’il aurait eu le courage de continuer. Remercions le Seigneur pour Anatole, comme je dis.
Je baissai la tête dévotement.
- Ce bon vieux Anatole, dis-je
- Amen », dit tante Dahlia.
Puis, l’expression d’extase religieuse qui apparait immanquablement quand on laisse son esprit s’attarder, même brièvement, sur la cuisine d’Anatole, s’effaça de son visage.
- Mais ne nous éloignons pas du sujet, reprit-elle. Je te racontais comment les fondations de l’enfer avaient été ébranlées depuis que je suis revenue. D’abord, il y a eu la remise des prix, puis Tom, et maintenant, pour couronner le tout, cette dispute infernale entre Angela et le jeune Glossop.
Je hochai gravement la tête.
- J’ai été affreusement désolé de l’apprendre. Un choc terrible. Quel était le sujet de la discorde ?
- Les requins.
- Hein ?
- Les requins, ou plutôt, un unique requin. La brute qui s’est jetée sur la pauvre enfant pendant qu’elle faisait de l’aquaplane à Cannes. Tu te souviens du requin d’Angela ? »

Je me rappelais bien entendu le requin d’Angela. Un homme un tant soit peu sensible n’oublie pas quand sa cousine est quasiment dévorée par des monstres des profondeurs. Cet épisode était encore frais dans ma mémoire.

En un mot, voici ce qui s’était passé. Vous savez comment on fait de l’aquaplane : un bateau à moteur file devant, tirant une corde. Vous êtes debout sur une planche, vous tenez la corde et le bateau vous entraîne. Et de temps en temps, vous lâchez votre prise sur la corde, et plongez dans la mer, et devez rejoindre à la nage votre planche.

Cela m’avait toujours paru une activité ridicule, même si beaucoup semblaient la trouver divertissante.

Eh bien, le jour dont on parle, Angela venait juste de rattraper sa planche après avoir basculé, quand un grand requin bestial arriva et la percuta comme un boulet de canon, la projetant à nouveau dans le bouillon. Il lui fallut un sacré bout de temps pour remonter et faire comprendre ce qui était arrivé au gars du bateau à moteur, afin la ramène en sécurité. Et vous pouvez imaginer sa panique entre temps.

Selon Angela, le client à aileron s’en était alors pris à ses chevilles, ne lui laissant presque aucun répit. Et quand les secours arrivèrent, elle avait davantage l’impression d’être une amande salée dans un banquet que quoi que ce soit d’humain. La pauvre enfant était très secouée, je me souviens. Pendant des semaines, elle n’avait plus parlé que de cela.

« Je me rappelle très clairement toute l’affaire, dis-je. Mais comment cela a pu provoquer la dispute ?
- Elle lui racontait l’histoire, la nuit dernière.
- Eh bien ?
- Ses yeux brillaient et ses petites mains étaient serrées par l’excitation.
- Je n’en doute pas.
- Et au lieu de lui manifester la compréhension et la sympathie qu’elle méritait, que crois-tu qu’a fait ce maudit Glossop? Il est resté assis à écouter, tel une boule de pâte, comme si elle lui parlait du temps qu’il faisait, et quand elle eut fini, il retira son porte-cigarette de sa bouche et dit, « j’imagine que ce n’était qu’un bout de bois qui flottait » !
- Il n’a pas osé !
- Si. Et quand Angela a décrit comment cette chose avait sauté, et s’en était pris à elle, il a encore retiré de sa bouche son porte-cigarette, et dit : « Ah ! Probablement un poisson plat. Tout à fait inoffensif. Il voulait certainement jouer. » Enfin alors ! Qu’aurais-tu fait à la place d’Angela ? Elle est fière, sensible, et a tous les penchants naturels d’une brave fille. Elle lui a dit qu’il était un âne, et stupide, et idiot, et qu’il ne savait pas de quoi il parlait. »

Je dois dire que je comprenais le point de vue de la fille. Des choses sensationnelles ne nous arrivent qu’une ou deux fois par vie. Alors quand elles arrivent, nous ne voulons pas qu’on en enlève toute la saveur. Je me souviens qu’à l’école on m’avait fait lire un bout où ce type, Othello, raconte à une fille les histoires de fous qui lui sont arrivées chez les cannibales, et tout cela. Eh bien, imaginez sa réaction si, après avoir raconté un passage particulièrement tonique avec un chef cannibale, alors qu’il attendait un « Ooh ! Ce n’est pas croyable ! » admiratif, elle avait dit que toute l’histoire avait manifestement été exagérée, et que l’homme était sans doute, en fait, un célèbre végétarien du pays.

Oui, je comprenais la position d’Angela.

« Ne me dites pas que quand il a vu à quel point cela la mettait en rogne, le singe n’a pas fait marche arrière ?
- Non. Il a argumenté. Et de fil en aiguille, par petites étapes, ils en sont arrivés au point où elle lui disait qu’elle ne savait pas s’il en était conscient, mais si il n’abandonnait pas les féculents et se mettait à faire du sport le matin, il deviendrait gras comme un cochon, et où lui parlait de cette sale habitude qu’avaient les filles d’aujourd’hui de se mettre du maquillage, ce qui lui avait toujours déplu. Cela a continué un moment, et puis, on a entendu un grand boum, et l’atmosphère était pleine des miettes de leurs fiançailles. Je ne sais plus quoi faire. Heureusement que tu es venu, Bertie.
- Rien n’aurait pu me retenir, répondis-je, touché. J’ai senti que vous aviez besoin de moi.
- Oui.
- Tout à fait.
- Ou plutôt, dit-elle, pas de toi, bien sûr, mais de Jeeves. J’ai pensé à lui à la minute où tout cela s’est produit. La situation exige, bien évidemment, Jeeves, et s’il exista, dans toute l’histoire humaine un moment où la présence ici-même de cette intelligence élevée était indispensable, c’est bien celui-ci »

Je crois que si j’avais été debout, j’aurais chancelé. J’en suis même à peu près convaincu. Mais il est bigrement difficile de chanceler quand on est assis dans un fauteuil. Aussi, seul mon visage manifesta à quel point ces mots m’avaient blessé.

Avant qu’elle les prononce, j’avais été toute douceur et légèreté – le sympathique neveu prêt à tous les efforts pour remplir son rôle. Je me figeai, le visage dur et fixe.

« Jeeves ! dis-je, les dents serrées.
- A tes souhaits, dit tante Dahlia.
Je vis qu’elle comprenait de travers.
- Je n’ai pas éternué. Je disais : « Jeeves ! »
- Et tu fais bien. Quel personnage ! Je vais lui raconter toute l’affaire. Il n’y a personne qui le vaille.
Ma froideur se fit plus marquée.
- Je me permettrai de ne pas partager cette assurance, tante Dahlia.
- Ne pas quoi ?
- Partager cette assurance.
- Voyez-vous cela !
- Je me permets d’insister. Jeeves est sans espoir.
- Quoi ?
- Sans aucun espoir. Il a complètement perdu la main. Il n’y a pas quelques jours, j’ai été obligé de le dessaisir d’une affaire qu’il gérait de façon très insignifiante. Et quoi qu’il en soit, je n’apprécie guère cette idée préconçue, si préconçue est bien le mot que j’ai en tête, selon laquelle Jeeves serait la seule personne équipée d’un cerveau. Et je n’aime pas la façon dont chacun lui soumet ses affaires, sans me consulter et me permettre de m’y atteler d’abord. »
Elle sembla vouloir parler, mais je l’arrêtai d’un geste.
- Il est vrai que dans le passé, il m’a parfois paru opportun de solliciter l’opinion de Jeeves. Et il est possible que je le fasse à nouveau dans le futur. Mais je prétends être fondé à m’intéresser à ces problèmes, quand ils se présentent, en personne, sans que chacun se comporte comme si Jeeves était le seul poireau dans la soupe. J’ai parfois l’impression que Jeeves, bien qu’il n’ait pas manqué de succès auparavant, a plus souvent été chanceux que talentueux.
- Tu t’es disputé avec Jeeves.
- Pas le moins du monde.
- Tu parais lui en vouloir.
- Pas du tout. »

Et pourtant, je dois reconnaître qu’il y avait un fond de vérité dans ce qu’elle disait. Toute la journée, j’avais été mal disposé à l’égard de Jeeves. Je vais vous expliquer pourquoi.

Vous vous souvenez qu’il avait pris le train de 12h45 avec les bagages, pendant que je restais derrière pour honorer un rendez-vous à déjeuner. Eh bien, juste avant de partir pour le tête-à-tête, je furetai dans l’appartement quand soudain – je ne saurais dire ce qui me mit ce soupçon dans l’esprit, peut-être quelque chose de furtif dans sa façon d’agir – il me sembla qu’on me chuchotait d’aller jeter un coup d’œil dans l’armoire.

Et ce fut comme je l’avais soupçonné. Le spencer y était encore, sur son cintre. Ce roquet ne l’avait pas emporté.

Bon, comme n’importe qui aux Drones pourra vous le confirmer, Bertram Wooster n’est pas le genre de gars qu’on contourne facilement. Je jetai le truc dans un sac en papier marron et le rangeai à l’arrière de la voiture. Il était maintenant posé sur une chaise dans le vestibule. Mais cela n’atténuait pas le fait que Jeeves avait tenté de me porter un coup bas, et j’imagine qu’un certain je-ne-sais-quoi avait dû se glisser dans mon ton quand je lançai la remarque ci-dessus.

« Il n’y a pas eu de rupture, dis-je. On pourrait le décrire comme un froid passager, mais rien de plus. Il se trouve que nous avons eu une divergence d’opinion au sujet de mon spencer blanc à boutons dorés, et que j’ai été obligé d’affirmer ma personnalité. Mais…
- Bon, ça n’a de toute façon aucune importance. Ce qui en a, c’est que tu racontes des sornettes, mon pauvre canard. Jeeves aurait perdu la main ? Absurde. Quoi encore, je l’ai vu un moment quand il est arrivé, ses yeux étincelaient d’intelligence, sans conteste. Je me suis dit : «fais confiance à Jeeves », et j’ai bien l’intention de le faire.
- Vous seriez bien mieux inspirée de me laisser réfléchir à ce qui peut être fait, tante Dahlia.
- Au nom du ciel, ne t’avise pas de t’en mêler. Tu ne feras que compliquer les choses.
- Au contraire, vous serez sans doute curieuse d’apprendre qu’en venant ici, sur la route, j’ai mûrement réfléchi aux difficultés que traverse Angela, et ai réussi à élaborer un plan, fondé sur la psychologie de l’individu, que j’ai l’intention de mettre en pratique sans plus tarder.
- Oh mon Dieu !
- Ma compréhension de la nature humaine me dit qu’il marchera.
- Bertie, dit tante Dahlia, et je fus frappé par la fébrilité de sa voix, laisse tomber, laisse tomber ! Par pitié, laisse tomber. Je connais trop tes plans. J’imagine que tu entends jeter Angela dans le lac, puis pousser derrière elle le jeune Glossop, pour qu’il lui sauve la vie, ou quelque chose comme cela.
- Rien de tel.
- C’est le genre de chose que tu es capable de faire.
- Ma combinaison est bien plus subtile. Permettez-moi de vous l’esquisser.
- Non merci.
- Je me suis dit…
- Pas moi.
- Ecoutez-moi une seconde.
- Sûrement pas.
- Bien bien, alors. Je suis idiot.
- Depuis ta plus tendre enfance. »

Je sentis que rien de bon ne pouvait advenir en poursuivant cette discussion. J’agitai une main et haussai une épaule.

« Très bien, tante Dahlia, répondis-je avec dignité, vous ne voulez pas être au parfum, c’est votre affaire. Mais vous ratez un bijou d’intelligence. Et de toute façon, vous pouvez bien vous comporter comme la vipère sourde de l’Ecriture, qui, comme vous le savez certainement, dansait d’autant moins qu’on la charmait, ou quelque chose de similaire, je procéderai comme prévu. Je suis extrêmement attaché à Angela, et ne m’épargnerai aucun effort pour ramener dans son cœur un rayon de soleil.
- Bertie, épouvantable chimpanzé, je t’implore à nouveau. Laisse tomber je t’en prie. Tu ne feras que rendre les choses dix fois pire qu’elles ne le sont déjà. »

Je me souviens avoir lu dans un de ces romans historiques l’histoire d’un garçon – ce devait être un bronzé, je crois, ou un macaroni, ce genre d’animal – qui, quand on lui faisait la mauvaise remarque, se contentait de sourire derrière des paupières paresseuses, et de chasser un grain de poussière de la dentelle immaculée de ses poignets. C’est à peu près ce que je fis à cet instant. En tout cas, j’ajustai ma cravate et décochai un des sourires mystérieux dont j’ai le secret. Puis, je me retirai, et sortis déambuler dans le jardin.

Et la première personne que j’y recontrai fut le jeune Tuppy. Son front était plissé, et il balançait avec humeur des cailloux sur un pot de fleur.

samedi 21 juin 2014

PG Wodehouse - Bien bien, Jeeves - Chapitre VI

Gussie, à son arrivée, portait encore les marques de sa terrible expérience. Le visage pâle, les yeux en groseilles, les oreilles tombantes, toute l’apparence de l’homme qui a traversé la fournaise et est resté coincé dedans. Je me remontai un peu sur les oreillers et le regardai de près. C’était, je le voyais, un de ces moments où les premiers soins sont de rigueur, et je me préparai à passer à l’action.

« Eh bien, Gussie.
- Allo, Bertie.
- Quoi de neuf.
- Quoi de neuf. »

Ces politesses échangées, je sentis le moment venu d’effleurer délicatement le passé.

« On m’a dit que tu en avais bavé.
- Oui
- A cause de Jeeves.
- Ce n’est pas de sa faute.
- C’est entièrement de sa faute.
- Je ne le vois pas comme ça. J’avais oublié mon argent et mes clefs –
- Et maintenant, tu ferais mieux d’oublier Jeeves. Parce que tu seras content d’apprendre, Gussie, dis-je, jugeant préférable de l’informer immédiatement de l’évolution de la situation, qu’il ne s’occupe plus de ton petit problème. »

Cela parut l‘essorer proprement. Les mâchoires tombèrent, les oreilles pendirent plus mollement encore. Il avait eu jusque-là l’air d’un poisson mort. Il ressemblait maintenant à un poisson encore plus mort, un de l’année dernière, rejeté sur quelque plage solitaire et abandonné là, à la merci du vent et des marées.

« Quoi ?
- Oui.
- Tu veux dire que Jeeves ne veut plus…
- Non.
- Mais, bon sang –
Je fus gentil mais ferme.
- Tu seras bien mieux sans lui. La terrible aventure de cette affreuse nuit t’a certainement montré que Jeeves a besoin de repos. Les plus brillants penseurs ont aussi leurs mauvais jours. C’est ce qui est arrivé à Jeeves. Je le sentais venir depuis quelque temps. Il a perdu la forme. Il faut lui décalaminer les branchements. Je comprends que tu sois sous le choc. J’imagine que tu étais venu ici ce matin pour lui demander conseil.
- Mais bien entendu.
- A quel sujet ?
- Madeline Bassett est partie s’installer chez ces gens, à la campagne, et je voulais savoir ce qu’il pense que je dois faire.
- Eh bien, comme je j’ai dit, Jeeves ne s’occupe plus de cette affaire.
- Mais, Bertie, bon sang -
- Jeeves, dis-je avec une certaine rugosité, n’est plus sur l’affaire, je suis maintenant seul en charge.
- Mais que diable peux-tu faire ? »

Je modérai mon agacement. Nous, Wooster, avons le sens de la justice, et savons faire la part de choses quand des gens ont défilé toute la nuit à travers Londres en collants écarlates.

« C’est, dis-je calmement, ce que nous allons voir. Assieds-toi, et tenons conférence. J’aurais tendance à dire que les choses me paraissent très simples. Tu dis que cette fille est allée rendre visite à des amis à la campagne. Il me paraît clair que tu dois y aller aussi, et lui tourner autour comme un cataplasme. Elémentaire.
- Mais je ne peux pas me planter là au milieu de parfaits étrangers.
- Tu ne connais pas ces gens ?
- Bien sûr que non, je ne connais personne. »

Je pinçai les lèvres. Ceci semblait quelque peu compliquer les choses.

« Tout ce que je sais, c’est que leur nom est Travers, et que l’endroit, là-bas dans le Worcestershire, est appelé Brinkley Court. »

Je dépinçai les lèvres.

« Gussie, dis-je avec un sourire paternel, c’est ton jour de chance : Bertram Wooster s’est intéressé à tes affaires. Comme je l’avais deviné dès le début, je peux tout arranger. Cet après-midi, tu partiras pour Brinkley Court, où tu es cordialement invité. »

Il frémit comme une mousse. J’imagine que me voir ainsi prendre les choses en main constitue pour le novice une expérience assez fascinante.

« Mais, Bertie, tu veux dire que tu connais ces Travers ?
- C’est ma tante Dahlia.
- Oh mon dieu !
- Tu comprends maintenant, indiquai-je, la chance que tu as de m’avoir derrière toi. Tu vas voir Jeeves, et que fait-il ? Il te déguise en collants écarlates, avec une des pires fausses barbes qu’il m’ait été donné de voir, et t’envoie dans des bals costumés. Résultat : l’esprit tourmenté mais aucun progrès. Je prends alors l’affaire en main et te remets dans le droit chemin. Est-ce que Jeeves aurait pu te faire entrer à Brinkley Court ? Aucune chance. Tante Dahlia n’est pas sa tante. Enfin, je dis cela.
- Sacrebleu, Bertie, je ne sais pas comment te remercier.
- Sacré vieux Gussie !
- Mais, quand même.
- Quoi encore ?
- Que ferai-je quand je serai là-bas ?
- Si tu connaissais Brinkley Court, tu ne poserais pas cette question. Dans ce cadre romantique, tu ne peux échouer. A travers les âges, de grands amoureux ont réglé à Brinkley les formalités préliminaires. L’endroit est tout simplement gorgé d’atmosphère. Tu vas te promener avec cette fille sur les chemins ombragés. Tu vas t’asseoir avec elle sur les pelouses ombragées. Tu vas faire avec elle de la barque sur le lac. Et peu à peu tu vas te rendre compte que tu arrives au point où…
- Bon sang, je crois que tu as raison.
- Bien sûr que j’ai raison. Je me suis fiancé trois fois à Brinkley. Cela n’a mené nulle part, mais les faits sont là. Et j’y étais allé sans l’ombre d’une envie de me laisser aller à la tendrosité. Je n’avais pas la moindre intention de me fiancer à qui que ce soit. Et pourtant, j’étais à peine entré en ces lieux romantiques que je me trouvais courant à la jeune fille la plus proche et jetant mon âme à ses pieds. C’est quelque chose dans l’air.
- Je vois précisément ce que tu veux dire. C’est bien ce que je voudrais pouvoir faire – arriver au point où. Et à Londres - maudit endroit – tout va tellement vite qu’on n’a jamais l’occasion de rien.
- Tout à fait. On n’est seul avec une fille que cinq minutes par jour, et si on veut lui demander de devenir sa femme, il faut y aller au pas de charge, comme si on essayait d’attraper l’anneau d’or d’un manège.
- C’est cela. Londres ma tape sur les nerfs. A la campagne, je serai un autre homme. Quelle chance, quand même, que cette madame Travers soit finalement ta tante.
- Finalement ma tante ? Je ne vois pas ce que tu veux dire. Elle a toujours été ma tante.
- Je veux dire, c’est quand même extraordinaire que ce soit chez ta tante que Madeline aille s’installer.
- Pas du tout. C’est une amie proche de ma cousine Angela. A Cannes, elle était tout le temps avec nous.
- Oh, tu as rencontré Madeline à Cannes, hein ? Mon Dieu, Bertie, dit dévotement le pauvre lézard, j’aurais tant aimé la voir à Cannes. Elle doit avoir l’air si formidable en pyjamas de plage ! Oh, Bertie…
- Tout à fait, dis-je, un peu distant. Même remis d’aplomb par une des torpilles de Jeeves, personne n’apprécie ce genre de choses après une nuit difficile. J’effleurai la sonnette, et quand Jeeves apparut, lui mandait de m’apporter un crayon et un formulaire de télégramme. Puis je rédigeai un message bien senti à l’attention de ma tante Dahlia, dans lequel je l’informais que j’envoyais aujourd’hui à Brinkley mon ami, Augustus Fink-Nottle, pour qu’il y profite de son hospitalité. Je le tendis à Gussie.
- Passe cela au premier bureau de poste que tu rencontreras, dis-je. Elle le trouvera qui l’attend à son retour. »

Gussie partit en sautillant, agitant son télégramme, et ressemblant à un gros plan de Joan Crawford. Je me tournai vers Jeeves et lui fit un compte rendu détaillé des opérations.
« Tout simple, voyez-vous, Jeeves. Rien d’élaboré.
- Non, monsieur.
- Rien de tiré par les cheveux. Rien de contraint, ou de bizzare. Rien qu’un remède naturel.
- Oui, monsieur.
- C’est la bataille telle qu’elle devait être livrée. Comment dit-on quand deux personnes de sexe opposé sont coincées ensemble, l’une près de l’autre, en un lieu reculé, se retrouvant tous les jours, et se voyant beaucoup ?
- Est-ce que ‘proximité’ est le mot que vous cherchez, monsieur ?
- C’est cela. Je fonde tout sur la proximité, Jeeves. La proximité, à mon avis, est ce qui fera la différence. Pour l’instant, comme vous le savez, Gussie fond sur place en sa présence. Mais demandez-vous comment il sera dans une semaine ou deux, après s’être servi, jour après jour, au buffet du petit déjeuner, dans le même plat de saucisses qu’elle. Découpant le même jambon, embarquant de concert rognons et bacon – eh bien »

Je m’interrompis. Je venais d’avoir une de mes idées.
« Seigneur, Jeeves !
- Monsieur ?
- Voilà bien un cas où il faut penser à tout. Vous m’avez entendu parler de saucisses, de rognons, de bacon et de jambon.
- Oui, monsieur.
- Eh bien, il ne faut rien de tout cela. Ce serait fatal. La fausse note parfaite. Donnez-moi ce crayon et le formulaire de télégramme. Je dois prévenir Gussie sans tarder. Ce qu’il doit faire, c’est créer dans l’esprit de cette fille l’impression qu’il dépérit par amour pour elle. Et cela ne se fera pas en se goinfrant de saucisses.
- Non, monsieur.
- Très bien, alors. »

Et, le formulaire et le c. à la main, je rédigeai ce qui suit :

Fink-Nottle
Brinkley Court
Market Snodsbury
Worcestershire
Garde-toi des saucisses. Evite le jambon. Bertie.

« Envoyez cela, Jeeves. Sans délai.
- Très bien, monsieur. »

Je me renfonçai dans mes oreillers.

« Voyez, Jeeves, dis-je, comme je prends les choses en main. Remarquez la prise que j’ai sur cette affaire. Nul doute, vous avez maintenant compris tout ce que vous gagneriez à étudier mes méthodes.
- Nul doute, monsieur.
- Et même là, vous n’avez pas encore touché le fond de l’extraordinaire sagacité dont j’ai fait preuve. Savez-vous ce qui amena Tante Dahlia ici ce matin ? Elle était venue me dire d’aller distribuer les prix de je ne sais quel monstrueux collège dont elle est administrateur, là-bas, à Market Snodsbury.
- Vraiment, monsieur ? Je crains que cette tâche ne vous agrée guère.
- Ah, mais je ne m’en acquitterai pas. Je vais la refiler à Gussie.
- Monsieur ?
- Je me propose, Jeeves, de télégraphier à tante Dahlia, de lui dire que je ne pourrai venir, et de lui suggérer de lâcher Gussie à ma place sur les jeunes détenus de sa maison de correction.
- Mais monsieur Fink-Nottle pourrait refuser, monsieur.
- Refuser ? Vous le voyez refuser ? Imaginez seulement la chose, Jeeves. Scene, le petit salon de Brinkley ; Gussie refoulé dans un coin, avec tante Dahlia au-dessus de lui, qui parle d’une voix de chasseuse. Je vous le demande, Jeeves, vous le voyez refuser ?
- Difficilement, monsieur. Madame Travers a une forte personnalité, je vous l’accorde.
- Pas de danger qu’il refuse. Sa seule issue serait de s’éclipser. Mais il ne peut s’éclipser, parce qu’il veut être avec mademoiselle Bassett. Non, Gussie va devoir marcher sur le fil, et je vais m’épargner une tâche, qui, je l’avoue, me faisait frémir. Monter sur une estrade pour y faire un discours, bref mais viril, à un parterre d’affreux écoliers ! Seigneur, Jeeves. J’ai déjà subi ce genre d’épreuve, hein ? Vous vous rappelez cette fois, à l’école de jeunes filles ?
- Très clairement, monsieur.
- Qu’est-ce que j’ai eu l’air idiot !
- Je vous ai déjà vu plus à votre avantage, monsieur.
- Je crois que vous pourriez m’apporter une autre de vos bombes à retardement, Jeeves. Cette échappée belle m’a rendu tout faible. »

Je suppose qu’il avait fallu à tante Dahlia près de trois heures pour rentrer à Brinkley, parce que le déjeuner était largement passé quand son télégramme arriva. En le lisant, on sentait le télégramme expédié par une tante chauffée à blanc, quelques deux minutes après avoir lu le mien.
Comme suit :

Consulte mon avocat pour déterminer si étrangler neveu imbécile constitue un meurtre. Si pas le cas, attention à vous. Considère votre conduite dépasse les bornes. Que croyez-vous faire en me plantant vos horribles amis comme cela ? Croyez-vous que Brinkley court est une léproserie ou quelque chose du genre ? Qui est ce Spink-Bottle ? Tendrement. Travers

Je m’attendais à pareille première réaction. Je répondis sur le mode tempéré :

Pas Bottle. Nottle. Amitiés. Bertie

Gussie avait dû arriver presque immédiatement après qu’elle avait envoyé le cri du cœur ci-dessus. Il ne s’était pas écoulé vingt minutes quand je reçus ceci :

Télégramme chiffré signé de toi m’est parvenu ici. Se lit : ‘Garde toi des saucisses. Evite le jambon.’ Envoie immédiatement la clef. Fink-Nottle.

Je répondis :

Les rognons aussi. Saludos. Bertie.

Tout mon plan reposait sur l’impression favorable que Gussie produirait sur son hôtesse, et j’avais bon espoir parce que c’était le genre de garçon obéissant, timide, obséquieux, servant-le-thé et faisant-passer-les-biscottes-et-le-beurre dont des femmes comme ma tante Dahlia s’entichent presque toujours. La justesse de mon raisonnement fut démontrée par le billet suivant, qui, je fus heureux de le constater, portait une dose nettement supérieure de crème de bonne volonté.

Comme suit :

Bien. Votre ami est arrivé, et je dois dire que pour un ami à vous, il semble moins dégénéré que je le craignais. Un peu geignard aux yeux ronds, mais dans l’ensemble correct et poli, et tout à fait passionnant sur les tritons. Envisage de lui organiser une série de conférences dans la région. Egalement, j’aime votre toupet à faire de ma maison un lieu de villégiature, et aurai à vous parler à ce sujet quand vous viendrez. Vous attendes le trente. Amenez demi-guêtres. Tendrement. Travers.

Ce à quoi je ripostai :

Après examen de mon agenda, venue à Brinkley Court semble impossible. Profondément désolé. Guili-guili. Bertie.

Sa réponse rendait un son sinistre :

Ah, c’est comme ça ? Vous et votre agenda, bien sûr. Profondément désolé mon œil. Laissez-moi vous dire, mon garçon, que vous serez drôlement plus profondément désolé si vous ne venez pas. Si vous croyez une seconde que vous échapperez à cette distribution de prix, vous vous méprenez gravement. Profondément désolée que Brinkley Court soit aussi loin de Londres : m’empêche de vous envoyer une brique à la figure. Tendrement. Travers.

Je jouais alors le tout pour le tout, prêt à tout gagner ou tout perdre. Ce n’était pas le moment de chipoter, et je lançai, sans regarder à la dépense :

Non, mais bon sang, écoutez-moi. Sérieusement, je ne suis pas le bon choix. Prenez Fink-Nottle pour distribuer les prix. Un distributeur-né, qui vous fera bien voir. Suis intimement convaincu qu’Augustus Fink-Nottle en Maître de Cérémonie, le trente et un courant, fera grande impression. Ne laissez pas passer cette opportunité, qui ne reviendra peut être jamais. Couci-couci. Bertie.

Il se passa une heure de suspense haletant, puis la joyeuse nouvelle arriva :

Bon d’accord. Un peu de vrai dans ce que vous dites, je suppose. Vous tiens pour un misérable traître et une loque mollassonne, dégonflée et méprisable, mais ai réservé Spink-Bottle. Restez où vous êtes, alors, et vous souhaite de passer sous un autobus. Tendrement. Travers.

Je fus, vous l’imaginez bien, terriblement soulagé. Mon esprit semblait libéré d’un énorme poids. C’était comme si quelqu’un m’avait rempli, à l’aide d’un entonnoir, de litres du remontant de Jeeves. Je chantai ce soir-là en m’habillant pour le dîner. Aux Drones, j’étais si gai et enthousiaste que certains s’en plaignirent. Et quand je rentrai et retrouvait le bon vieux lit, je m’endormis comme un bébé moins de cinq minutes après avoir inséré le bonhomme dans les draps. Il me semblait que toute cette déprimante affaire pouvait désormais être considérée comme définitivement réglée.

Imaginez, donc, ma stupéfaction quand me réveillant le lendemain et m’asseyant pour plonger dans ma tasse de thé matinale, je découvris sur le plateau un autre télégramme.

L’inquiétude me gagna. Après une nuit de sommeil, Tante Dahlia avait-elle pu changer d’avis ? Ou alors Gussie, incapable de supporter l’épreuve à laquelle il était confronté, avait filé dans la nuit par les égouts. Toutes ces hypothèses courant dans mon ciboulot, je déchirai l’enveloppe et, prenant connaissance de son contenu, émis un glapissement surpris.

« Monsieur ? » dit Jeeves, arrêté sur le seuil.
Je relus le billet. Oui, j’en avais compris l’esprit. Non, je ne m’étais pas trompé sur son essence.
« Jeeves, dis-je, vous savez quoi ?
- Non, monsieur.
- Vous connaissez ma cousine Angela ?
- Oui, monsieur.
- Vous connaissez le jeune Tuppy Glossop ?
- Oui, monsieur.
- Ils ont rompu leurs fiancailles.
- Je suis désolé de l’apprendre, monsieur.
- J’ai ici une missive de tante Dahlia, qui m’en informe en particulier. Je me demande bien quelle querelle ils ont eue.
- Je ne saurais dire, monsieur.
- Bien sûr que non. Ne faites pas l’idiot, Jeeves.
- Non, monsieur.
Je ruminai cela. J’étais très touché.
- Bon. Cela signifie qu’il nous faut partir aujourd’hui pour Brinkley. Tante Dahlia est manifestement à la ramasse, et ma place est à ses côtés. Vous feriez bien de préparer les bagages ce matin et de prendre le train de 12h45 avec les valises. J’ai un rendez-vous à déjeuner, et vous suivrai en voiture.
- Très bien, monsieur.
Je ruminai davantage.
- Je dois dire que c’est pour moi un grand choc, Jeeves.
- Nul doute, monsieur.
- Un très grand choc. Angela et Tuppy… ça alors ! Eux qui étaient assortis comme du papier peint. La vie est parfois bien triste, Jeeves.
- Oui, monsieur.
- Et pourtant nous y voila.
- Sans aucun doute, monsieur.
- Bien bien, alors. Faites couler le bain.
- Très bien, monsieur.

vendredi 13 juin 2014

Sandburg - Brouillard

Brouillard


Le brouillard approche
à petits pas de chat

Il s’assied contemple
le port et la ville
sur ses talons muets
et puis s’en va


Fog


The fog comes
on little cat feet.

It sits looking
over harbor and city
on silent haunches
and then moves on.

mercredi 11 juin 2014

Philip Larkin - Ainsi soit le vers

Ainsi soit le vers


Ils te bousillent, papa et maman
Ce n’était pas leur but, mais pourtant
Ils te remplissent de tous leurs défauts
Puis en ajoutent deux trois, en cadeau

Car ils ont été bousillés naguère
Par des idiots en habits d’avant-guerre
Un jour sur deux tendres et guindés
Et le reste du temps à s’étriper

Ainsi l’homme lègue à l’homme la misère
Toujours plus bas, comme le fond des mers
Alors fuis tant qu’il est encore temps
Et abstiens-toi d’avoir des enfants



This be the verse


They fuck you up, your mum and dad.
They may not mean to, but they do.
They fill you with the faults they had
And add some extra, just for you.

But they were fucked up in their turn
By fools in old-style hats and coats,
Who half the time were soppy-stern
And half at one another’s throats.

Man hands on misery to man.
It deepens like a coastal shelf.
Get out as early as you can,
And don’t have any kids yourself.