samedi 28 juin 2008

Huainanzi - Cheval enfui

近塞上之人有善術者,馬無故亡而入胡,人皆弔之。其父曰:「此何遽不為福乎!」居數月,其馬將胡駿馬而歸,人皆賀之。其父曰:「此何遽不能為禍乎!」家富良馬,其子好騎,墮而折其髀,人皆弔之。其父曰:「此何遽不為福乎!」居一年,胡人大入塞,丁壯者引弦而戰,近塞之人,死者十九,此獨以跛之故,父子相保。故福之為禍,禍之為福,化不可極,深不可測也。

Parmi les habitants de la frontière, il y avait un homme avisé. Un jour, sans raison, son cheval s’enfuit en pays barbare. Chacun vint le plaindre, mais notre homme dit : «qu’est ce qui vous fait dire que ce n’est pas une chance ? » Quelques mois plus tard, son cheval revenait, avec un bel étalon barbare. Chacun vint le féliciter, mais notre homme dit : « qu’est ce qui vous fait dire que cela ne peut être un malheur ? » La famille s’enrichit d’un bon cheval. Le fils aimait le monter. Un jour, il fit une chute, et se brisa la hanche. Chacun vint le plaindre, mais notre homme dit : « qu’est ce qui vous fait dire que ce n’est pas une chance ? » Un an plus tard, des barbares franchirent la frontière, en nombre. Les hommes valides prirent leurs arcs, et partirent se battre. Des habitants de la frontière, neuf sur dix moururent, mais grâce à cette infirmité, le père et le fils furent tous deux préservés. Ainsi, le bonheur devient malheur, et le malheur devient bonheur. Ce changement n’a pas de fin, son mystère est insondable.

近塞上之人有善術者,馬無故亡而入胡,人皆弔之 。其父曰:「此何遽不為福乎!」
Parmi les gens qui vivaient près de la frontière, il y avait un homme qui avait de bonnes méthodes. Sans raison, son cheval s’enfuit et entra en pays barbare. Les gens vinrent tous le plaindre, mais cet homme dit : « pourquoi ne pas considérer ceci comme un bonheur ? »

近 proche
塞 frontière
上 sur, au dessus
之 de (relatif)
人 hommes, gens
近塞上之人 les gens vivant près de la frontière (en chinois classique, le déterminant précède le déterminé)

有A者 il y a quelqu’un qui A
B人有A者 parmi les gens B, il y avait quelqu’un qui A

C’est un peu l’ « il était une fois » des anecdotes chinoises :
楚 人 有 鬻 楯 與 矛 者Parmi les gens de Chu, il y avait quelqu’un qui vendait des lances et des boucliers (Han Feizi)
宋人有善為不龜手之藥者Parmi les gens de Song, il y avait quelqu’un qui savait faire un onguent pour éviter que les mains gercent (Zhuangzi)

善 bon, être bon, savoir bien faire, bien faire
術 méthodes, façons, art (certains commentateurs disent que cela veut dire prévoir l’avenir, mais cela me semble contredire l’histoire, qui montre notre héros s’abstenir de prédire…)

善術者 un homme ayant de bonnes méthodes, je traduis pas un homme avisé… mais ce point reste obscur.
馬 cheval
無 n’avoir pas, il n’y a pas (négation de 有)
故 raison, cause
亡 s’enfuir
無故 qualifie 亡 : s’enfuit sans raison
而 et (assemble deux verbes)
入 entrer
胡 barbare, ici pays barbare, steppe.

Ce texte date des Han Occidentaux, les barbares sont probablement les Xiongnus.

人 homme, gens
皆 tous, adverbe indiquant le pluriel
人皆 chacun

弔 plaindre, s’apitoyer
之 lui, elle, cela (complement d’objet, troisième personne)
其 soit possessif : son, soit démonstratif : ce
父 généralement, père, mais c’est aussi un terme de politesse, désignant un homme d’un certain âge
其父 donc, soit « son père », soit « ce vieil homme », je préfère la seconde, qui répond au 善術者 qui précède (que viendrait faire un père ici…).
曰 dire
此 ceci
何 comment, quoi
遽 soudain, mais ce caractère est probablement utilisé ici pour 據 base, raison
何遽 sur quelle base, comment
不 ne pas
為 considérer
福 chance, bonne fortune
乎 à la fin d’une phrase, la rend interrogative, ici, renforce le sens du pronom interrogatif 何, et en fait une question rhétorique.
此何遽不為福乎 : littéralement : pour quelle raison (何遽) ne considérez vous pas (不為) ceci (此) comme une chance (福).

居數月,其馬將胡駿馬而歸,人皆賀之。其父曰:「此何遽不能為禍乎!」
Quelques mois plus tard, son cheval revint, accompagné d’un bel étalon barbare. Chacun le félicita, mais cet homme dit : « pourquoi ne considérez vous pas que ceci peut être un malheur ? »

居 vivre, demeurer quelque part. Souvent utilisé comme préfixe d’une expression de durée : après
數 plusieurs
月 lune, mois
居數月 après plusieurs mois
其馬 son cheval (其=possessif)
將 accompagné, avec
駿 un très bon cheval, ce mot est généralement utilisé dans l’expression 駿馬
歸 revenir (antonyme de 亡 ci dessus)
將A而歸 : il revint avec A
賀 féliciter

此何遽不能為禍乎
禍 malheur : c’est l’antonyme de 福 dans la phrase précédente. Cette construction opposant les mots d’une phrase à l’autre est très courante en chinois classique.
On a ici : 馬無故亡 / 其馬…歸不為福乎 / 不能為禍乎
Observez que le parallélisme n’est pas parfait

不能為禍 : ne peut être considéré comme/ ne peut devenir un malheur,
能 introduit une potentialité (可 est également utilisé à cette fin)

家富良馬,其子好騎,墮而折其髀,人皆弔之。其父曰:「此何遽不為福乎!」
La famille s’enrichit d’un bon cheval Le fils aimait le monter. Il tomba et se cassa la hanche. Chacun vint le plaindre. Mais l’homme dit : « pourquoi ne considérez vous pas ceci comme un bonheur ? »

家 maisonnée, famille, ce mot fait référence aux personnes, pas au bâtiment où ils vivent (à la difference du mot français “maison”)
富 riche, être riche, devenir riche
良 bon, excellent
其子 son fils (其 = possessif)
好 aimer (en classique, c’est presque toujours un verbe, rarement le nom ou l’adjectif “bien”)
騎 monter un cheval (le complément 之 : le monter, est ici sous entendu, c’est très souvent le cas)
墮 tomber de cheval
折 casser
髀 hanche, partie haute de la cuisse

居一年,胡人大入塞,丁壯者引弦而戰,近塞之人,死者十九,此獨以跛之故,父子相保
Un an plus tard, un grand nombre de barbares passa la frontière. Les hommes valides tirèrent leurs arcs et allèrent se battre. Des gens vivant près de la frontière, neuf sur dix moururent. Mais juste parce qu’il était boîteux, le père et le fils furent tous deux sauvés.

一 un
年 année
胡人 les barbares (du nord et de l’ouest)
大 grandement
入塞 traverser la frontière
丁 un adulte, quelqu’un de plus de 20 ans, par extension, quelqu’un de fort
壯 un homme mûr, quelqu’un de trente à quarante ans, par extension, quelqu’un de fort
丁壯者 tous les hommes valides
引 tirer un arc
弦 la corde d’un arc
戰 bataille, livrer bataille
死者 ceux qui sont morts
十九 =十之九 neuf sur dix (dix neuf, ce serait十有九 dix et neuf (ATTENTION 有 you4))
近塞之人,死者十九 Parmi les gens vivant près de la frontière, ceux qui moururent furent neuf sur dix.

獨 seul
跛 boîteux, infirmité
以A之故 : à cause de A
以跛之故 à cause de son infirmité
保 protéger, être protégé
相 l’un l’autre, peut servir, comme adverbe, à exprimer un duel (pluriel à deux)
父子 deux possibilités : le fils de notre homme (父之子), ou père et fils (父與子), la présence de 相 rend la second plus plausible

故福之為禍,禍之為福,化不可極,深不可測也。
Ainsi, un bonheur devient un malheur, et un malheur devient un bonheur. Ces changement ne finissent jamais, leur complexité ne peut être sondée.

故 pour cette raison, ainsi, introduit la morale de l’histoire
福之為禍 litt : le fait que le bonheur devienne malheur (之 est un relatif, 為 devenir)
化 changer
極 le faîte, le sommet, la fin, finir
深 litt. Profond, profondeur
測 litt. Sonder une rivière, un étang

2 commentaires:

Anonyme a dit…

塞翁失马 焉知非福。
merci pour la traduction et les notes。

Cochonfucius a dit…

Un poème inspiré par cette histoire :

https://paysdepoesie.wordpress.com/2021/09/24/cheval-fatidique/

'et je fais le lien dans l'autre sens)