Je lui décochai un de mes regards.
« Jeeves, dis-je. J’aurai difficilement cru cela de votre part. Vous n’ignorez pas que je me suis couché à une heure tardive hier soir. Vous savez que j’ai à peine pris mon thé. Vous n’êtes pas sans comprendre l’effet que la voix enthousiaste de tante Dahlia peut faire à un mal de crâne. Et vous voici pourtant qui m’amenez des Fink-Nottle. Est-ce une heure pour un Fink, ou je ne sais quel Nottle ?
- Mais ne m’avez-vous pas laissé entendre, monsieur, que vous désiriez voir monsieur Fink-Nottle pour l’entretenir de son affaire ? »
Ceci, je le reconnais, ouvrait une nouvelle perspective à ma réflexion. Sous la pression de mes émotions, j’avais proprement oublié que j’avais pris en main les intérêts de Gussie. Cela changeait les choses. On ne peut envoyer un client sur les roses. Je veux dire, vous ne verriez Sherlock Holmes refuser de recevoir des clients, simplement parce qu’il était rentré tard, la nuit précédente, de l’anniversaire du docteur Watson. J’aurais préféré que ce jeune homme ait choisi de m’approcher à une heure plus appropriée, mais comme c’était apparemment une espèce d’alouette humaine, qui abandonnait dès l’aube son nid aquatique, je me dis qu’il valait mieux que je le reçoive.
« Exact, dis-je. Très bien, balancez !
- Bien, monsieur.
- Mais avant, apportez-moi un de vos revigorants.
- Très bien, monsieur. »
Et le voilà qui revenait avec l’indispensable breuvage.
J’ai déjà eu l’occasion, il me semble, d’évoquer de ces remontants que prépare Jeeves, et de l’effet qu’ils ont sur un gars dont la vie ne tient plus qu’à un fil, un lendemain matin. Ce dont ils sont composés, je ne saurais vous le dire. Il parle d’une sorte de sauce, du jaune d’un œuf cru et d’un soupçon de piment rouge, mais rien ne me convaincra que la chose ne va pas beaucoup plus loin. Mais quoi qu’il en soit, l’effet, quand on en ingurgite un, est impressionnant.
Pendant peut-être une fraction de second, rien ne se passe. C’est comme si la Nature retenait son souffle. Puis, soudain, c’est comme si la Dernière Trompe avait sonné, et que le Jugement Dernier débutait, avec une sévérité inhabituelle.
Des feux de joie explosent partout dans la charpente. L’abdomen se remplit de lave bouillonnante. Un vent puissant semble souffler sur le monde, et le sujet ressent quelque chose qui ressemble à un marteau-pilon frappant l’arrière de son crâne. Pendant cette phase, les oreilles sifflent bruyamment, les yeux tournent dans leurs orbites, et il y a comme un fourmillement sur le front.
Et puis, juste au moment où vous vous dites que vous devriez appeler votre avocat, pour vérifier avant qu’il soit trop tard que vos affaires sont en ordre, la situation semble s’éclaircir. Le vent retombe. Les oreilles cessent de siffler. Les oiseaux chantent. Des fanfares se mettent à jouer. Dans une secousse, le soleil se lève sur l’horizon.
Et un instant plus tard, tout ce que vous ressentez, c’est un grand calme.
Comme je vidais le verre, une nouvelle vie semblait bourgeonner en moi. Je me souviens que Jeeves, qui, quels que puissent être ses dérapages en matière de tenues de soirée ou de conseils aux amoureux, sait toujours trouver des phrases bien tournés, parlait un jour de quelqu’un qui s’envolait bien loin de ces miasmes morbides et allait se purifier dans l’air supérieur. C’était comme cela que ça se passait pour moi. Je sentais que le Bertram Wooster calé sur ses oreillers était devenu un Bertram meilleur, plus fort et plus brillant.
« Merci, Jeeves, dis-je.
- Il n’y a pas de quoi, monsieur.
- C’est arrivé à point nommé. Je suis maintenant capable de me confronter aux difficultés de la vie.
- Je suis très heureux de l’entendre, monsieur.
- Quel folie de ne pas en avoir pris un avant de m’attaquer à la tante Dahlia ! Enfin, il est trop tard pour s’en inquiéter. Parlez-moi de Gussie. Comment s’est-il tenu au bal costumé ?
- Il n’est pas arrivé au bal costumé, monsieur.
Je le regardai avec un brin de sévérité.
- Jeeves, dis-je, je reconnais qu’après votre revigorant je me sens mieux, mais ne mettez pas la barre trop haut. Ne restez pas ainsi devant mon lit de douleurs, à me raconter n’importe quoi. Nous avons jeté Gussie dans un taxi, et il est parti, lancé vers l’endroit où cette soirée costumée avait lieu. Il y est forcément arrivé.
- Non, monsieur. Pour ce que monsieur Fink-Nottle m’en a dit, il est entré dans le taxi convaincu que la fête à laquelle il avait été invité se tenait au 17, Suffolk Square, alors que le rendez-vous était en fait au 71, Norfolk Terrace. Ces aberrations de la mémoire sont assez courantes chez ceux qui, comme monsieur Fink-Nottle, appartiennent à ce qu’on pourrait appeler la catégorie des rêveurs.
- On pourrait aussi bien les appeler les demeurés.
- Oui, monsieur.
- Alors ?
- Arrivé au 17, Suffolk Square, monsieur Fink-Nottle entreprit de sortir l’argent pour payer sa course.
- Et qu’est-ce qui l’en empêcha ?
- Le fait qu’il n’avait pas d’argent, monsieur. Il découvrit qu’il l’avait laissé, avec son carton d’invitation, sur le manteau de la cheminée de sa chambre, dans la maison de son oncle où il logeait. En conséquence, priant le chauffeur de l’attendre, il sonna à la porte et quand le majordome apparut, il lui demanda de payer le taxi, ajoutant que tout allait bien, qu’il était l’un des invités du bal. Le majordome, alors, nia être informé de la tenue d’une soirée dansante en ces lieux.
- Et refusa de raquer ?
- Oui, monsieur.
- Sur quoi…
- Monsieur Fink-Nottle indiqua au taxi de le ramener au logis de son oncle.
- Et alors, ce ne fut pas l’heureux dénouement ? Tout ce qu’il avait à faire était d’entrer, de récupérer argent et carton, et tout rentrait dans l’ordre, sur du velours.
- J’aurais dû préciser, monsieur, que monsieur Fink-Nottle avait également oublié ses clefs sur le manteau de la cheminée de sa chambre.
- Il aurait pu sonner.
- Il a sonné, monsieur, pendant près de quinze minutes. Ce temps écoulé, il s’est rappelé qu’il avait donné congé au gardien – la maison était fermée et tout le personnel en vacances – pour qu’il aille retrouver son fils, marin à Portsmouth.
- Seigneur, Jeeves !
- Oui, monsieur.
- Les rêveurs ont de ces vies, n’est-ce-pas ?
- Oui, monsieur.
- Qu’arriva-t-il alors ?
- A ce point, Monsieur Fink-Nottle semble avoir compris que sa situation vis-à-vis du taxi était devenue équivoque. Les chiffres sur le compteur indiquaient déjà une somme importante, et il n’était pas en position de s’acquitter de ses dettes.
- Il aurait pu s’expliquer.
- On n’explique rien à un taxi, monsieur. D’ailleurs, quand il tenta de le faire, il s’aperçut que le garçon doutait de sa bonne foi.
- J’aurais pris mes jambes à mon cou.
- C’est la solution qui parut s’imposer à monsieur Fink-Nottle. Il se précipita, mais le chauffeur, tentant de le retenir, attrapa son pardessus. Monsieur Fink-Nottle parvint à s’extraire du manteau, mais il semblerait que son apparition, dans le déguisement qu’il portait en dessous, ait causé quelque choc au taxi. Monsieur Fink-Nottle m’informe qu’il entendit une espèce de sifflement, et que, regardant derrière lui, il aperçut l’homme, accroupi contre une barrière, le visage entre les mains. Monsieur Fink-Nottle croit qu’il priait. C’était sans doute un de ces garçons incultes et superstitieux, monsieur. Un buveur, probablement.
- Eh, s’il ne l’était pas avant, je parierai qu’il l’est rapidement devenu. J’imagine qu’il a eu du mal à attendre l’ouverture des pubs.
- Il est très possible que dans ces circonstances il ait considéré qu’un remontant était souhaitable, monsieur.
- Et dans ces circonstances, il est probable qu’il en a été de même pour Gussie. Je pense. Que diable a-t-il fait après cela ? Londres tard la nuit - ou même le jour, en fait – n’est pas un endroit pour un homme en collants écarlates.
- Non, monsieur.
- Cela fait jaser.
- Oui, monsieur.
- Je voir d’ici le pauvre vieil animal se recroquevillant dans les contre-allées, se cachant dans les ruelles, plongeant dans les poubelles.
- J’ai cru comprendre, monsieur, d’après les commentaires de monsieur Fink-Nottle, que les évènements prirent effectivement un tour assez semblable. Finalement, après une nuit éprouvante, il parvint à rallier le domicile de monsieur Sipperley, où il obtint l’asile et une tenue de rechange le lendemain matin. »
Je m’enfonçais dans les oreillers, le front un peu plissé. C’était très bien de tenter de faire un rien plaisir à un vieux camarade de classe, mais je devais admettre qu’en prenant fait et cause pour un abruti capable d’embrouiller les choses comme Gussie venait de le faire, j’avais accepté un contrat qui n’avait presque plus taille humaine. Il me semblait que ce dont Gussie avait besoin, c’était moins des conseils d’une personne ayant l’expérience du monde, que d’une cellule capitonnée à Colney Hatch, avec quelques braves surveillants pour s’assurer qu’il n’y mettrait pas le feu.
En fait, pendant un instant, j’eu presque envie de me retirer de cette affaire, et de la rendre à Jeeves. Mais la fierté des Wooster me retint. Une fois que nous, Wooster, avons pris en main la charrue, nous ne remettons pas facilement l’épée au fourreau. Par ailleurs, après cette affaire de spencer, tout ce qui pouvait ressembler à de la faiblesse risquait d’être fatal.
« Je suppose que vous comprenez, Jeeves, dis-je, car même si je n’aime pas m’acharner, certaines choses doivent être exprimées, que tout ceci est de votre faute.
- Monsieur ?
- Il n’y pas de « monsieur ? » qui tienne. Vous le savez. Si vous n’aviez pas insisté pour qu’il aille à ce bal – un projet insensé, comme je l’ai tout de suite senti – rien de ceci ne serait arrivé.
- Oui, monsieur, mais je dois avouer que je n’avais pas anticipé…
- Toujours tout anticiper, Jeeves, dis-je un peu sévèrement. C’est la seule façon. Et même, si vous l’aviez autorisé à porter un costume de Pierrot, les choses n’auraient pas tourné ainsi. Les tenues de Pierrot ont des poches. Enfin, continuai-je plus aimablement, il ne sert à rien d’y revenir maintenant. Si tout ceci vous a montré ce qui se passe quand on se promène en collants écarlates, c’est toujours quelque chose de gagné. Gussie attend dehors, avez-vous dit ?
- Oui, monsieur.
- Alors lancez le moi, et je verrai ce que je peux faire pour lui.
vendredi 30 mai 2014
PG Wodehouse - Bien bien, Jeeves - chapitre IV
On a dit, et bien dit, de Bertram Wooster que, si personne ne porte sur sa chair et son sang un regard plus acéré, critique et sans compromis, c’est malgré tout quelqu’un qui aime rendre à chacun son dû. Et si vous avez suivi mes mémoires avec l’attention qu’elles méritent, vous n’ignorez pas que j’ai souvent eu l’occasion d’insister sur le fait que tante Dahlia est quelqu’un de bien.
C’est celle, vous vous en souvenez peut-être, qui épousa le vieux Tom Travers, en secondes noces, je crois que c’est l’expression consacrée, l’année où Bluebottle gagna le prix du Cambridgeshire, et qui m’encouragea un jour à écrire un article sur Ce Que Porte l’Homme Bien Mis dans ce journal dont elle s’occupe – le boudoir de Milady. Elle a un esprit large et chaleureux, avec lequel il est agréable de frayer. Et on ne trouve, dans sa composition spirituelle, aucune des subtiles mochetés qui font de personnages comme, par exemple, ma tante Agatha, des malédictions métropolitaines et des menaces pour tout un chacun. Je tiens ma tante Dahlia en la plus haute estime, et ne suis jamais revenu sur l’opinion favorable que j’ai de ses qualités humaines, de son côté sportif, et plus généralement de sa bonne-pâtitude.
Ceci étant exposé, vous pouvez imaginer ma surprise à la trouver à mon chevet à pareille heure. Je veux dire, j’ai dormi chez elle plus souvent qu’à mon tour, et elle connait mes habitudes. Elle n’ignore pas non plus que tant que je n’ai pas pris ma tasse de thé du matin, je ne reçois personne. Cette irruption, à un moment où elle sait l’importance que revêtent la solitude et le repos, était, à mon sens, difficilement constitutive de bonnes manières.
Par ailleurs, que pouvait-elle venir faire à Londres? C’était la question que je me posais. Quand une ménagère consciencieuse rentre chez elle après une absence de sept semaines, on ne s’attend pas à la voir s’éclipser le lendemain de son retour. On se dit qu’elle devrait rester là, pourvoir aux besoins de son mari, s’entretenir avec le cuisinier, nourrir le chat, peigner et brosser le Spitz nain, en un mot, tenir en place. J’avais l’oeil plus que trouble, mais tentai néanmoins, autant que le permettait le fait d’avoir les paupières plus ou moins collées ensembles, de lui jeter un regard grave et réprobateur.
Elle n’eut pas l’air de le comprendre.
« Debout, Bertie, vieille andouille ! » cria-t-elle, d’une voix qui me frappa entre les sourcils et ressortit à l’arrière de ma tête.
S’il est un défaut que l’on peut reprocher à tante Dahlia, c’est sa capacité à s’adresser à quelqu’un en face d’elle comme si elle l’avait repéré, à un demi-mille, alors qu’elle chevauchait avec sa meute. Une survivance, sans doute, du temps où elle considérait comme perdue toute journée qu’elle n’avait pas passée à harceler un pauvre renard à travers la campagne.
Je lui resservis du grave et du réprobateur. Cette fois cela prit, mais eut pour unique conséquence de la faire descendre à des attaques personnelles.
« Arrête de me faire ces clins d’œil obscènes, dit-elle. Je me demande, Bertie, poursuivit-elle en m’examinant comme j’imagine que Gussie contemplerait quelque triton hors norme, si tu as la moindre notion de l’aspect parfaitement repoussant que tu présentes. Un croisement entre une scène d’orgie dans un film et je ne sais quelle forme primitive de vie aquatique. Je suppose tu as fait la nouba hier soir ?
- J’ai effectivement rempli une obligation mondaine, répondis-je froidement. L’anniversaire de Pongo Twistleton. Je ne pouvais laisser tomber Pongo, noblesse oblige.
- Bien, debout et habille-toi.
Je me dis que je n’avais pas dû bien entendre.
- Debout et habille-toi ?
- Oui »
Je me retournai sur l’oreiller avec un léger gémissement, et à cet instant, Jeeves entra avec l’indispensable oolong. Je m’y accrochai comme un noyé à un chapeau de paille. Une profonde goulée ou deux, et je me sentis – je ne dirais pas guéri, parce qu’un anniversaire comme celui de Pongo Twistleton n’est pas le genre de chose dont on guérit d’une simple gorgée de thé, mais suffisamment proche du Bertram d’antan pour être capable de forcer mon esprit à se concentrer sur la chose affreuse qui m’était tombée dessus.
Et plus je forçais ledit, moins je comprenais le scénario du film.
« Qu’est-ce que c’est, tante Dahlia ? Demandai-je.
- Ca m’a tout l’air de thé, fut sa réponse. Mais tu dois le savoir, vu que tu es en train de le boire.
- Pas le contenu de cette tasse. Tout cela. Vous débarquant ici, et me disant de me lever et de m’habiller, tous ces machins.
- J’ai débarqué, comme tu dis, parce que mes télégrammes ne semblaient produire aucun effet. Et je t’ai demandé de te lever et de t’habiller parce que je veux que tu te lèves et que tu t’habilles. Je suis venue te ramener avec moi. J’ai aimé ton bagout, m’annonçant que tu viendrais l’an prochain ou je ne sais quand. Mais tu vas venir maintenant, j’ai un travail pour toi.
- Je ne veux pas travailler.
- Ce que tu veux, mon garçon, et ce que tu vas avoir, sont deux choses complètement différentes. Il y a un travail d’homme qui t’attend à Brinkley Court. Sois prêt jusqu’au dernier bouton dans vingt minutes.
- Mais il n’est pas envisageable que je sois prêt à quelque bouton que ce soit dans vingt minutes. Je me sens affreusement mal.
Elle sembla réfléchir.
- D’accord, dit-elle, je suppose qu’il serait charitable de te laisser un jour ou deux pour te remettre. Parfait, je t’attends le trente au plus tard.
- Mais, bon sang, qu’est-ce que tout cela ? Que voulez-vous dire, un travail ? Pourquoi un travail ? Quelle sorte de travail ?
- Je te l’expliquerai si tu arrêtes de parler une minute. C’est un travail tout à fait simple et agréable. Tu vas l’apprécier. As-tu entendu parler de l’Ecole Primaire de Market Snodsbury ?
- Jamais.
- C’est une école primaire, à Market Snodsbury.
Je lui répondis, un peu fraîchement, que je l’avais deviné.
- Comment aurais-je pu savoir qu’un esprit comme le tien saisirait si vite ? protesta-t-elle. D’accord, donc. L’Ecole Primaire de Market Snodbury est, comme tu l’as compris, l’école primaire de Market Snodsbury. Je suis conseil d’établissement.
- Tu veux dire conseillère.
- Je ne veux pas dire conseillère. Ecoute, andouille. Il y avait un conseil d’établissement à Eton, n’est-ce-pas ? Très bien. Il y en aussi un à l’Ecole Primaire de Market Snodsbury, et j’en suis membre. Et ils m’ont chargé d’organiser la remise des prix de cet été. Cette remise des prix aura lieu le dernier jour de ce mois – le trente et un. Est-ce clair pour toi ? »
Je repris quelques centilitres de guérit-tout et hochai la tête. Même après une soirée d’anniversaire de Pongo Twistleton, j’étais capable de comprendre des choses simples, comme celle-ci.
« Je vous suis. Et je vois ce que vous cherchez à expliquer, c’est certain. Market… Snodsbury… Ecole Primaire… Conseil d’établissement… Remise de prix… Parfaitement. Mais en quoi cela me concerne-t-il ?
- Tu vas distribuer les prix. »
J’écarquillai. Ses mots ne paraissaient pas avoir de sens. Ils ressemblaient à l’imprécise divagation d’une tante qui serait restée assise au soleil sans chapeau.
« Moi ?
- Toi
J’écarquillai encore.
- Vous ne voulez pas dire moi ?
- Toi en personne.
J’écarquillai pour la troisième fois.
- Vous me faites marcher.
- Je ne te fais pas marcher. Personne n’y arriverait en ce moment, animal. Le curé était censé officier, mais en rentrant à la maison, j’ai trouvé une lettre où il m’expliquait qu’il s’était étiré le jarret, et devait renoncer à participer. Tu imagines dans quel état j’étais. J’ai téléphoné partout. Personne ne voulait le remplacer. Et puis, d’un coup, j’ai pensé à toi. »
Je décidai de tuer ce machin dans l’œuf. Personne n’est plus prompt à rendre service à une tante méritante que Bertram Wooster. Mais il y a des limites, voire, des limites clairement définies.
« Et vous croyez que je vais aller disséminer des prix dans votre petite académie provinciale ?
- Oui.
- Et faire un discours ?
- Tout à fait.
J’eus un rire méprisant.
- Bon sang, ne commence pas à gargouiller. C’est une affaire sérieuse.
- Je riais.
- Ah bon ? Eh bien, je suis heureuse de voir que tu prends cela avec le sourire.
- Avec mépris, expliquai-je. Je n’irai pas. C’est décidé. Je n’irai juste pas.
- Tu iras, jeune Bertie, ou tu n’assombriras plus jamais le pas de ma porte. Et tu sais ce que cela signifie. Plus jamais de dîners d’Anatole. »
Un grand frisson me parcourut. Elle faisait allusion à son chef, ce magnifique artiste. Un prince de sa profession, jamais dépassé – que dis-je, jamais égalé – quand il s’agit de préparer les matériaux bruts, pour qu’ils fondent dans la bouche du consommateur final. Anatole avait toujours été l’aimant qui me ramenait à Brinkley Court la langue pendante. Et beaucoup de mes meilleurs moments ont été passés à m’empiffrer des rôtis et des ragouts de ce grand homme. Aussi, la perspective de me voir, à l’avenir, interdire leur accès, était paralysante.
« Non, j’irai, bon sang !
- Je savais que cela t’ébranlerait. Jeune cochon vorace.
- Ca n’a rien à voir avec la voracité des jeunes cochons, dis-je en la prenant un peu de haut. On n’est pas un cochon vorace parce qu’on apprécie la cuisine d’un génie.
- Bon, je conviens que je l’aime aussi, reconnut la parente. Mais tu n’en auras plus une bouchée si tu refuses de faire ce travail simple, facile et agréable. Non, tu n’en sentiras même plus l’odeur. Alors mets-toi cela dans les douze pouces de ton fume-cigarette, et fume. »
Je commençais à me sentir comme une bête sauvage prise au collet.
« Mais pourquoi moi ? Je veux dire, je ne suis rien. Posez-vous la question.
- Je l’ai souvent fait.
- Je veux dire, ce n’est pas mon genre. Il faut un type formidable, pour distribuer les prix. Je crois me souvenir que quand j’étais à l’école, c’était souvent le Premier Ministre, ou quelqu’un comme ça.
- Ah, mais c’était à Eton. A Market Snodsbury, nous somme moins difficiles. N’importe qui en demi-guètres, nous impressionne.
- Pourquoi ne choisissez-vous pas l’oncle Tom ?
- L’oncle Tom ?
- Pourquoi pas ? Il porte des demi-guètres
- Bertie, dit-elle, je vais te dire pourquoi pas l’Oncle Tom. Tu te souviens de tout cet argent que j’ai perdu au baccarat, à Cannes ? Eh bien, très prochainement, je vais devoir me glisser auprès de Tom et lui annoncer la nouvelle. Et si, juste après cela, je lui demande de mettre des gants lavande et un claque, et d’aller distribuer les prix de l’Ecole Primaire de Market Snodsbury, il y aura un divorce dans la famille. Il laissera un message sur la pelote à épingles, et filera comme un lapin. Non, mon garçon, c’est à toi de le faire, et donc, il vaudrait mieux que tu t’y appliques.
- Mais, tante Dahlia, écoutez la voix de la raison. Je vous assure, vous n’avez pas pris le bon. A ce genre de jeu, je suis sans espoir. Interrogez Jeeves sur la fois où l’on m’a entraîné à faire un discours dans une école de filles. J’ai eu l’air d’une formidable andouille.
- Mais j’espère bien, et je suis confiante, que tu auras tout autant l’air d’une formidable andouille le trente et un de ce mois. C’est pour cela que je t’ai choisi. Ma façon de voir les choses, c’est que comme cela risque d’être glacial, de toutes façons, autant en tirer une bonne rigolade. Et je serai contente de te voir distribuer ces prix, Bertie. Bien, je ne retiens pas, vu que c’est certainement l’heure de ta gymnastique Suédoise. Je t’attends donc dans un jour ou deux. »
Et sur ces mots sans coeur, elle détala, me laissant en proie aux sentiments les plus sombres. Alors, entre la réaction naturelle à la fête de Pongo et ce coup de massue, ce n’est pas trop de dire que mon esprit brûlait.
Et je me tordais encore dans l’abime, quand la porte s’ouvrit et que Jeeves apparut.
« Monsieur Fink-Nottle désire vous voir, monsieur, » annonca-t-il.
C’est celle, vous vous en souvenez peut-être, qui épousa le vieux Tom Travers, en secondes noces, je crois que c’est l’expression consacrée, l’année où Bluebottle gagna le prix du Cambridgeshire, et qui m’encouragea un jour à écrire un article sur Ce Que Porte l’Homme Bien Mis dans ce journal dont elle s’occupe – le boudoir de Milady. Elle a un esprit large et chaleureux, avec lequel il est agréable de frayer. Et on ne trouve, dans sa composition spirituelle, aucune des subtiles mochetés qui font de personnages comme, par exemple, ma tante Agatha, des malédictions métropolitaines et des menaces pour tout un chacun. Je tiens ma tante Dahlia en la plus haute estime, et ne suis jamais revenu sur l’opinion favorable que j’ai de ses qualités humaines, de son côté sportif, et plus généralement de sa bonne-pâtitude.
Ceci étant exposé, vous pouvez imaginer ma surprise à la trouver à mon chevet à pareille heure. Je veux dire, j’ai dormi chez elle plus souvent qu’à mon tour, et elle connait mes habitudes. Elle n’ignore pas non plus que tant que je n’ai pas pris ma tasse de thé du matin, je ne reçois personne. Cette irruption, à un moment où elle sait l’importance que revêtent la solitude et le repos, était, à mon sens, difficilement constitutive de bonnes manières.
Par ailleurs, que pouvait-elle venir faire à Londres? C’était la question que je me posais. Quand une ménagère consciencieuse rentre chez elle après une absence de sept semaines, on ne s’attend pas à la voir s’éclipser le lendemain de son retour. On se dit qu’elle devrait rester là, pourvoir aux besoins de son mari, s’entretenir avec le cuisinier, nourrir le chat, peigner et brosser le Spitz nain, en un mot, tenir en place. J’avais l’oeil plus que trouble, mais tentai néanmoins, autant que le permettait le fait d’avoir les paupières plus ou moins collées ensembles, de lui jeter un regard grave et réprobateur.
Elle n’eut pas l’air de le comprendre.
« Debout, Bertie, vieille andouille ! » cria-t-elle, d’une voix qui me frappa entre les sourcils et ressortit à l’arrière de ma tête.
S’il est un défaut que l’on peut reprocher à tante Dahlia, c’est sa capacité à s’adresser à quelqu’un en face d’elle comme si elle l’avait repéré, à un demi-mille, alors qu’elle chevauchait avec sa meute. Une survivance, sans doute, du temps où elle considérait comme perdue toute journée qu’elle n’avait pas passée à harceler un pauvre renard à travers la campagne.
Je lui resservis du grave et du réprobateur. Cette fois cela prit, mais eut pour unique conséquence de la faire descendre à des attaques personnelles.
« Arrête de me faire ces clins d’œil obscènes, dit-elle. Je me demande, Bertie, poursuivit-elle en m’examinant comme j’imagine que Gussie contemplerait quelque triton hors norme, si tu as la moindre notion de l’aspect parfaitement repoussant que tu présentes. Un croisement entre une scène d’orgie dans un film et je ne sais quelle forme primitive de vie aquatique. Je suppose tu as fait la nouba hier soir ?
- J’ai effectivement rempli une obligation mondaine, répondis-je froidement. L’anniversaire de Pongo Twistleton. Je ne pouvais laisser tomber Pongo, noblesse oblige.
- Bien, debout et habille-toi.
Je me dis que je n’avais pas dû bien entendre.
- Debout et habille-toi ?
- Oui »
Je me retournai sur l’oreiller avec un léger gémissement, et à cet instant, Jeeves entra avec l’indispensable oolong. Je m’y accrochai comme un noyé à un chapeau de paille. Une profonde goulée ou deux, et je me sentis – je ne dirais pas guéri, parce qu’un anniversaire comme celui de Pongo Twistleton n’est pas le genre de chose dont on guérit d’une simple gorgée de thé, mais suffisamment proche du Bertram d’antan pour être capable de forcer mon esprit à se concentrer sur la chose affreuse qui m’était tombée dessus.
Et plus je forçais ledit, moins je comprenais le scénario du film.
« Qu’est-ce que c’est, tante Dahlia ? Demandai-je.
- Ca m’a tout l’air de thé, fut sa réponse. Mais tu dois le savoir, vu que tu es en train de le boire.
- Pas le contenu de cette tasse. Tout cela. Vous débarquant ici, et me disant de me lever et de m’habiller, tous ces machins.
- J’ai débarqué, comme tu dis, parce que mes télégrammes ne semblaient produire aucun effet. Et je t’ai demandé de te lever et de t’habiller parce que je veux que tu te lèves et que tu t’habilles. Je suis venue te ramener avec moi. J’ai aimé ton bagout, m’annonçant que tu viendrais l’an prochain ou je ne sais quand. Mais tu vas venir maintenant, j’ai un travail pour toi.
- Je ne veux pas travailler.
- Ce que tu veux, mon garçon, et ce que tu vas avoir, sont deux choses complètement différentes. Il y a un travail d’homme qui t’attend à Brinkley Court. Sois prêt jusqu’au dernier bouton dans vingt minutes.
- Mais il n’est pas envisageable que je sois prêt à quelque bouton que ce soit dans vingt minutes. Je me sens affreusement mal.
Elle sembla réfléchir.
- D’accord, dit-elle, je suppose qu’il serait charitable de te laisser un jour ou deux pour te remettre. Parfait, je t’attends le trente au plus tard.
- Mais, bon sang, qu’est-ce que tout cela ? Que voulez-vous dire, un travail ? Pourquoi un travail ? Quelle sorte de travail ?
- Je te l’expliquerai si tu arrêtes de parler une minute. C’est un travail tout à fait simple et agréable. Tu vas l’apprécier. As-tu entendu parler de l’Ecole Primaire de Market Snodsbury ?
- Jamais.
- C’est une école primaire, à Market Snodsbury.
Je lui répondis, un peu fraîchement, que je l’avais deviné.
- Comment aurais-je pu savoir qu’un esprit comme le tien saisirait si vite ? protesta-t-elle. D’accord, donc. L’Ecole Primaire de Market Snodbury est, comme tu l’as compris, l’école primaire de Market Snodsbury. Je suis conseil d’établissement.
- Tu veux dire conseillère.
- Je ne veux pas dire conseillère. Ecoute, andouille. Il y avait un conseil d’établissement à Eton, n’est-ce-pas ? Très bien. Il y en aussi un à l’Ecole Primaire de Market Snodsbury, et j’en suis membre. Et ils m’ont chargé d’organiser la remise des prix de cet été. Cette remise des prix aura lieu le dernier jour de ce mois – le trente et un. Est-ce clair pour toi ? »
Je repris quelques centilitres de guérit-tout et hochai la tête. Même après une soirée d’anniversaire de Pongo Twistleton, j’étais capable de comprendre des choses simples, comme celle-ci.
« Je vous suis. Et je vois ce que vous cherchez à expliquer, c’est certain. Market… Snodsbury… Ecole Primaire… Conseil d’établissement… Remise de prix… Parfaitement. Mais en quoi cela me concerne-t-il ?
- Tu vas distribuer les prix. »
J’écarquillai. Ses mots ne paraissaient pas avoir de sens. Ils ressemblaient à l’imprécise divagation d’une tante qui serait restée assise au soleil sans chapeau.
« Moi ?
- Toi
J’écarquillai encore.
- Vous ne voulez pas dire moi ?
- Toi en personne.
J’écarquillai pour la troisième fois.
- Vous me faites marcher.
- Je ne te fais pas marcher. Personne n’y arriverait en ce moment, animal. Le curé était censé officier, mais en rentrant à la maison, j’ai trouvé une lettre où il m’expliquait qu’il s’était étiré le jarret, et devait renoncer à participer. Tu imagines dans quel état j’étais. J’ai téléphoné partout. Personne ne voulait le remplacer. Et puis, d’un coup, j’ai pensé à toi. »
Je décidai de tuer ce machin dans l’œuf. Personne n’est plus prompt à rendre service à une tante méritante que Bertram Wooster. Mais il y a des limites, voire, des limites clairement définies.
« Et vous croyez que je vais aller disséminer des prix dans votre petite académie provinciale ?
- Oui.
- Et faire un discours ?
- Tout à fait.
J’eus un rire méprisant.
- Bon sang, ne commence pas à gargouiller. C’est une affaire sérieuse.
- Je riais.
- Ah bon ? Eh bien, je suis heureuse de voir que tu prends cela avec le sourire.
- Avec mépris, expliquai-je. Je n’irai pas. C’est décidé. Je n’irai juste pas.
- Tu iras, jeune Bertie, ou tu n’assombriras plus jamais le pas de ma porte. Et tu sais ce que cela signifie. Plus jamais de dîners d’Anatole. »
Un grand frisson me parcourut. Elle faisait allusion à son chef, ce magnifique artiste. Un prince de sa profession, jamais dépassé – que dis-je, jamais égalé – quand il s’agit de préparer les matériaux bruts, pour qu’ils fondent dans la bouche du consommateur final. Anatole avait toujours été l’aimant qui me ramenait à Brinkley Court la langue pendante. Et beaucoup de mes meilleurs moments ont été passés à m’empiffrer des rôtis et des ragouts de ce grand homme. Aussi, la perspective de me voir, à l’avenir, interdire leur accès, était paralysante.
« Non, j’irai, bon sang !
- Je savais que cela t’ébranlerait. Jeune cochon vorace.
- Ca n’a rien à voir avec la voracité des jeunes cochons, dis-je en la prenant un peu de haut. On n’est pas un cochon vorace parce qu’on apprécie la cuisine d’un génie.
- Bon, je conviens que je l’aime aussi, reconnut la parente. Mais tu n’en auras plus une bouchée si tu refuses de faire ce travail simple, facile et agréable. Non, tu n’en sentiras même plus l’odeur. Alors mets-toi cela dans les douze pouces de ton fume-cigarette, et fume. »
Je commençais à me sentir comme une bête sauvage prise au collet.
« Mais pourquoi moi ? Je veux dire, je ne suis rien. Posez-vous la question.
- Je l’ai souvent fait.
- Je veux dire, ce n’est pas mon genre. Il faut un type formidable, pour distribuer les prix. Je crois me souvenir que quand j’étais à l’école, c’était souvent le Premier Ministre, ou quelqu’un comme ça.
- Ah, mais c’était à Eton. A Market Snodsbury, nous somme moins difficiles. N’importe qui en demi-guètres, nous impressionne.
- Pourquoi ne choisissez-vous pas l’oncle Tom ?
- L’oncle Tom ?
- Pourquoi pas ? Il porte des demi-guètres
- Bertie, dit-elle, je vais te dire pourquoi pas l’Oncle Tom. Tu te souviens de tout cet argent que j’ai perdu au baccarat, à Cannes ? Eh bien, très prochainement, je vais devoir me glisser auprès de Tom et lui annoncer la nouvelle. Et si, juste après cela, je lui demande de mettre des gants lavande et un claque, et d’aller distribuer les prix de l’Ecole Primaire de Market Snodsbury, il y aura un divorce dans la famille. Il laissera un message sur la pelote à épingles, et filera comme un lapin. Non, mon garçon, c’est à toi de le faire, et donc, il vaudrait mieux que tu t’y appliques.
- Mais, tante Dahlia, écoutez la voix de la raison. Je vous assure, vous n’avez pas pris le bon. A ce genre de jeu, je suis sans espoir. Interrogez Jeeves sur la fois où l’on m’a entraîné à faire un discours dans une école de filles. J’ai eu l’air d’une formidable andouille.
- Mais j’espère bien, et je suis confiante, que tu auras tout autant l’air d’une formidable andouille le trente et un de ce mois. C’est pour cela que je t’ai choisi. Ma façon de voir les choses, c’est que comme cela risque d’être glacial, de toutes façons, autant en tirer une bonne rigolade. Et je serai contente de te voir distribuer ces prix, Bertie. Bien, je ne retiens pas, vu que c’est certainement l’heure de ta gymnastique Suédoise. Je t’attends donc dans un jour ou deux. »
Et sur ces mots sans coeur, elle détala, me laissant en proie aux sentiments les plus sombres. Alors, entre la réaction naturelle à la fête de Pongo et ce coup de massue, ce n’est pas trop de dire que mon esprit brûlait.
Et je me tordais encore dans l’abime, quand la porte s’ouvrit et que Jeeves apparut.
« Monsieur Fink-Nottle désire vous voir, monsieur, » annonca-t-il.
Libellés :
anglais,
PG Wodehouse (1881-1975)
jeudi 29 mai 2014
PG Wodehouse - Bien bien, Jeeves, chapitre III
Le premier télégramme arriva peu après midi, et Jeeves l’apporta avec le remontant d’avant-déjeuner. Il provenait de ma tante Dahlia, opérant de Market Snodsbury, une espèce de petite ville que l’on croise sur la grand’ route, à un mille ou deux de sa résidence campagnarde.
Il était ainsi rédigé :
Venez de suite. Travers.
Et quand je dis qu’il me dérouta en diable, je le sous-estime, à tout le moins. C’était, en y repensant, la plus mystérieuse communication qui ait jamais été transmise par télégraphe. Je l’étudiai, en proie à une profonde rêverie, pendant la meilleure partie de deux Martinis dry et un petit rab’. Je le lis à l’envers. Je le lis à l’endroit. En fait, je me souviens même vaguement l’avoir senti. Mais il ne lassait de me surprendre.
Considérez les faits, je veux dire. Cela faisait tout juste quelques heures que cette tante et moi nous étions séparés après avoir été en contact permanent pendant près de deux mois. Et pourtant, elle revenait – la joue encore chargée de mon baiser d’adieu, si je puis dire – exigeant de nouvelles retrouvailles. Bertram Wooster n’est pas accoutumé à pareil appétit vorace pour sa société. Interrogez n’importe laquelle de mes connaissances, elle vous dira qu’après deux mois en ma compagnie, ce que ressent toute personne normale, c’est que c’est amplement suffisant. En fait, j’ai connu des personnes qui ne tenaient pas plus de quelques jours.
Aussi, avant de m’attabler devant un bon bien-cuit, j’envoyai la réponse suivante :
Abasourdi. Expliquez. Bertie.
Ce à quoi je reçus une réponse pendant ma sieste d’après déjeuner.
Pourquoi diable êtes-vous abasourdi, andouille ? Venez de suite. Travers.
Trois cigarettes et quelques tours de la pièce plus tard, ma réponse était prête :
Que voulez-vous dire par venez de suite ? Amitiés. Bertie.
Ci-joint la réponse :
Je veux dire venez de suite, épuisant demeuré. Que croyiez-vous d’autre ? Venez de suite, ou attendez-vous à être maudit par votre tante demain à l’ouverture du bureau. Tendrement. Travers.
Je fis alors envoyer le message suivant, espérant tout clarifier :
Quand vous dites ‘Venez’, voulez-vous dire ‘venez à Brinkley Court’ ? Et quand vous dires ‘de suite’, voulez-vous dire ‘de suite’ ? Embrouillé. Perdu. Meilleurs vœux. Bertie.
Je déposai celui-là en me rendant aux Drones, où je passai un après-midi reposant à lancer des cartes dans un chapeau haut de forme, en compagnie des meilleurs éléments du club. En rentrant, entre chien et loup, je trouvais la réponse qui m’attendait :
Oui, oui, oui, oui, oui, oui, oui. Peu importe que vous compreniez. Venez juste de suite, comme je vous le dis, et de grâce arrêtez les insolences. Vous me croyez assez cousue d’or pour pouvoir vous envoyer un télégramme toutes les dix minutes ? Arrêtez de faire l’imbécile, et venez immédiatement. Tendrement. Travers.
Arrivé à ce point, je ressentis le besoin d’une seconde opinion. Je sonnai.
« Jeeves, dis-je, une bizarrerie en forme de V est apparue en provenance du Worcestershire. Lisez cela, ajoutai-je en lui tendant les papiers dans leur enveloppe. »
Il les parcourut.
« Qu’en pensez-vous, Jeeves ? »
- Je crois que madame Travers souhaite que vous veniez de suite, monsieur.
- Vous avez compris cela, vous aussi ?
- Oui, monsieur.
- C’est également mon interprétation de la chose. Mais pourquoi, Jeeves ? Nom de nom, elle vient de passer presque deux mois avec moi.
- Oui, monsieur.
- Alors que beaucoup considèrent qu’une dose raisonnable pour un sujet adulte est de deux jours.
- Oui, monsieur. Je suis conscient de cette objection. Toutefois, madame Travers parait extrêmement résolue. Je crois qu’il conviendrait d’accéder à sa demande.
- Y faire un saut, vous voulez dire ?
- Oui, monsieur.
- Eh bien, je ne peux certainement pas y aller tout de suite. J’ai une importante réunion prévue ce soir aux Drones. La soirée d’anniversaire de Pongo Twistleton, vous vous souvenez ?
- Oui, monsieur.
Il y eut une courte pause. Nous nous remémorions tous deux notre petite dispute. Je me sentis obligé d’y faire allusion.
- Vous avez tort à propos de ce spencer, Jeeves.
- C’est une question de point de vue, monsieur.
- Quand je le portais, au Casino, à Cannes, des femmes élégantes se faisaient des clins d’œil, et chuchotaient : ‘qui est-ce ?’
- Les casinos continentaux sont peu regardants sur la tenue, c’est bien connu, monsieur.
- Et quand j’en ai fait la description à Pongo, hier soir, il buvait mes paroles.
- Vraiment, monsieur ?
- Comme tous ceux qui étaient là. Tout un chacun reconnaissait que je tenais là quelque chose. Pas une voix qui s’oppose.
- Vraiment, monsieur ?
- Je suis convaincu que vous finirez par apprendre à aimer ce spencer, Jeeves.
- J’ai bien peur que non, monsieur.
J’abandonnai. Il ne sert jamais à rien d’essayer de raisonner Jeeves en ces occasions. « Tête de cochon » est le mot qu’on a sur les lèvres. On soupire, et on passe à autre chose.
- Bon, quoi qu’il en soit, et pour revenir au programme, je ne puis descendre, à Brinkley Court ou n’importe où ailleurs, avant un moment. C’est une certitude. Je vais vous dire, Jeeves. Donnez-moi un formulaire et un crayon, et je vais lui télégraphier que je la rejoindrai un des jours de la semaine prochaine, ou de la suivante. Nom d’un chien, elle devrait être capable de tenir sans moi pendant quelques jours. C’est juste une question de volonté.
- Oui, monsieur.
- Bien bien, alors, je vais envoyer : « j’arriverai demain en quinze » où quelque chose comme cela. Cela devrait suffire. Et quand vous aurez eu l’amabilité de crapahuter jusqu’au coin de la rue pour l’envoyé, tout sera réglé.
- Très bien, monsieur. »
Ainsi s’écoula cette longue journée, jusqu’au moment où il me fallut m’habiller pour la fête de Pongo.
La nuit précédente, alors que nous bavardions de l’affaire, Pongo m’avait promis que sa bringue d’anniversaire prendrait des proportions susceptibles d’ébranler le monde, et je dois reconnaître que j’ai souvent donné dans des activités moins pimentées. Quatre heures étaient largement passées quand je rentrai, et j’étais alors à peu près en état d’aller me coucher. Je me souviens juste d’avoir trouvé mon lit à tâtons, d’y être entré en rampant, et il me semblait que ma poire venait à peine de toucher l’oreiller quand je fus réveillé par le bruit de la porte qu’on ouvrait.
Je marchais au ralenti, mais me forçai à soulever une paupière.
« C’est déjà mon thé, Jeeves ?
- Non, monsieur, c’est madame Travers. »
Et un instant plus tard, il y eut le bruit d’un grand coup de vent, comme ma parente passait le seuil à soixante à l’heure et à pleine vapeur.
Il était ainsi rédigé :
Venez de suite. Travers.
Et quand je dis qu’il me dérouta en diable, je le sous-estime, à tout le moins. C’était, en y repensant, la plus mystérieuse communication qui ait jamais été transmise par télégraphe. Je l’étudiai, en proie à une profonde rêverie, pendant la meilleure partie de deux Martinis dry et un petit rab’. Je le lis à l’envers. Je le lis à l’endroit. En fait, je me souviens même vaguement l’avoir senti. Mais il ne lassait de me surprendre.
Considérez les faits, je veux dire. Cela faisait tout juste quelques heures que cette tante et moi nous étions séparés après avoir été en contact permanent pendant près de deux mois. Et pourtant, elle revenait – la joue encore chargée de mon baiser d’adieu, si je puis dire – exigeant de nouvelles retrouvailles. Bertram Wooster n’est pas accoutumé à pareil appétit vorace pour sa société. Interrogez n’importe laquelle de mes connaissances, elle vous dira qu’après deux mois en ma compagnie, ce que ressent toute personne normale, c’est que c’est amplement suffisant. En fait, j’ai connu des personnes qui ne tenaient pas plus de quelques jours.
Aussi, avant de m’attabler devant un bon bien-cuit, j’envoyai la réponse suivante :
Abasourdi. Expliquez. Bertie.
Ce à quoi je reçus une réponse pendant ma sieste d’après déjeuner.
Pourquoi diable êtes-vous abasourdi, andouille ? Venez de suite. Travers.
Trois cigarettes et quelques tours de la pièce plus tard, ma réponse était prête :
Que voulez-vous dire par venez de suite ? Amitiés. Bertie.
Ci-joint la réponse :
Je veux dire venez de suite, épuisant demeuré. Que croyiez-vous d’autre ? Venez de suite, ou attendez-vous à être maudit par votre tante demain à l’ouverture du bureau. Tendrement. Travers.
Je fis alors envoyer le message suivant, espérant tout clarifier :
Quand vous dites ‘Venez’, voulez-vous dire ‘venez à Brinkley Court’ ? Et quand vous dires ‘de suite’, voulez-vous dire ‘de suite’ ? Embrouillé. Perdu. Meilleurs vœux. Bertie.
Je déposai celui-là en me rendant aux Drones, où je passai un après-midi reposant à lancer des cartes dans un chapeau haut de forme, en compagnie des meilleurs éléments du club. En rentrant, entre chien et loup, je trouvais la réponse qui m’attendait :
Oui, oui, oui, oui, oui, oui, oui. Peu importe que vous compreniez. Venez juste de suite, comme je vous le dis, et de grâce arrêtez les insolences. Vous me croyez assez cousue d’or pour pouvoir vous envoyer un télégramme toutes les dix minutes ? Arrêtez de faire l’imbécile, et venez immédiatement. Tendrement. Travers.
Arrivé à ce point, je ressentis le besoin d’une seconde opinion. Je sonnai.
« Jeeves, dis-je, une bizarrerie en forme de V est apparue en provenance du Worcestershire. Lisez cela, ajoutai-je en lui tendant les papiers dans leur enveloppe. »
Il les parcourut.
« Qu’en pensez-vous, Jeeves ? »
- Je crois que madame Travers souhaite que vous veniez de suite, monsieur.
- Vous avez compris cela, vous aussi ?
- Oui, monsieur.
- C’est également mon interprétation de la chose. Mais pourquoi, Jeeves ? Nom de nom, elle vient de passer presque deux mois avec moi.
- Oui, monsieur.
- Alors que beaucoup considèrent qu’une dose raisonnable pour un sujet adulte est de deux jours.
- Oui, monsieur. Je suis conscient de cette objection. Toutefois, madame Travers parait extrêmement résolue. Je crois qu’il conviendrait d’accéder à sa demande.
- Y faire un saut, vous voulez dire ?
- Oui, monsieur.
- Eh bien, je ne peux certainement pas y aller tout de suite. J’ai une importante réunion prévue ce soir aux Drones. La soirée d’anniversaire de Pongo Twistleton, vous vous souvenez ?
- Oui, monsieur.
Il y eut une courte pause. Nous nous remémorions tous deux notre petite dispute. Je me sentis obligé d’y faire allusion.
- Vous avez tort à propos de ce spencer, Jeeves.
- C’est une question de point de vue, monsieur.
- Quand je le portais, au Casino, à Cannes, des femmes élégantes se faisaient des clins d’œil, et chuchotaient : ‘qui est-ce ?’
- Les casinos continentaux sont peu regardants sur la tenue, c’est bien connu, monsieur.
- Et quand j’en ai fait la description à Pongo, hier soir, il buvait mes paroles.
- Vraiment, monsieur ?
- Comme tous ceux qui étaient là. Tout un chacun reconnaissait que je tenais là quelque chose. Pas une voix qui s’oppose.
- Vraiment, monsieur ?
- Je suis convaincu que vous finirez par apprendre à aimer ce spencer, Jeeves.
- J’ai bien peur que non, monsieur.
J’abandonnai. Il ne sert jamais à rien d’essayer de raisonner Jeeves en ces occasions. « Tête de cochon » est le mot qu’on a sur les lèvres. On soupire, et on passe à autre chose.
- Bon, quoi qu’il en soit, et pour revenir au programme, je ne puis descendre, à Brinkley Court ou n’importe où ailleurs, avant un moment. C’est une certitude. Je vais vous dire, Jeeves. Donnez-moi un formulaire et un crayon, et je vais lui télégraphier que je la rejoindrai un des jours de la semaine prochaine, ou de la suivante. Nom d’un chien, elle devrait être capable de tenir sans moi pendant quelques jours. C’est juste une question de volonté.
- Oui, monsieur.
- Bien bien, alors, je vais envoyer : « j’arriverai demain en quinze » où quelque chose comme cela. Cela devrait suffire. Et quand vous aurez eu l’amabilité de crapahuter jusqu’au coin de la rue pour l’envoyé, tout sera réglé.
- Très bien, monsieur. »
Ainsi s’écoula cette longue journée, jusqu’au moment où il me fallut m’habiller pour la fête de Pongo.
La nuit précédente, alors que nous bavardions de l’affaire, Pongo m’avait promis que sa bringue d’anniversaire prendrait des proportions susceptibles d’ébranler le monde, et je dois reconnaître que j’ai souvent donné dans des activités moins pimentées. Quatre heures étaient largement passées quand je rentrai, et j’étais alors à peu près en état d’aller me coucher. Je me souviens juste d’avoir trouvé mon lit à tâtons, d’y être entré en rampant, et il me semblait que ma poire venait à peine de toucher l’oreiller quand je fus réveillé par le bruit de la porte qu’on ouvrait.
Je marchais au ralenti, mais me forçai à soulever une paupière.
« C’est déjà mon thé, Jeeves ?
- Non, monsieur, c’est madame Travers. »
Et un instant plus tard, il y eut le bruit d’un grand coup de vent, comme ma parente passait le seuil à soixante à l’heure et à pleine vapeur.
Libellés :
anglais,
PG Wodehouse (1881-1975)
samedi 24 mai 2014
PG Wodehouse - Bien bien, Jeeves, chapitre II
« Quoi de neuf, Gussie », dis-je.
Vous n’auriez peut-être pas pu le deviner à ma voix, mais j’étais carrément interloqué. Le spectacle qui s’offrait à moi aurait suffi à interloquer n’importe qui. Je veux dire, ce Fink-Nottle, tel que je me le rappelais, était le genre de falot timide et ratatiné qu’on s’attendait à voir trembler comme un saule si on l’invitait à rien plus qu’un samedi après-midi chez monsieur le curé. Et pourtant, il était là, s’il fallait en croire ses propres sens, prêt à partir à un bal costumé, genre de loisir connu pour mettre à rude épreuve les caractères plus solides.
Et il allait à cette soirée costumée, notez le bien – non pas déguisé en Pierrot, comme n’importe quel Anglais bien élevé, mais en Méphistophélès – ce qui implique, ai-je besoin de le rappeler, non seulement des collants écarlates, mais également une effrayante fausse barbe.
Insolite, vous en conviendrez. Toutefois, on sait dissimuler ses sentiments. Je ne trahis aucun étonnement vulgaire, mais lui lançai, comme je l’ai dit, un quoi de neuf poli et nonchalant.
Il me sourit à travers la mousse – un peu moutonnier, pensai-je.
« Oh, allo, Bertie.
- Un moment qu’on ne s’est pas vus. Tu as un créneau ?
- Non, je te remercie. Je dois partir dans une minute. Je suis juste venu demander à Jeeves comment il me trouvait. Comment me trouves-tu, Bertie ? »
Bon, la réponse était bien sûr : « tout à fait immonde ». Mais nous, Wooster, savons faire preuve de tact, et avons un sens aigu des responsabilités qui incombent à un hôte. Sous notre toit, nous n’expliquons pas à de vieux amis qu’ils sont une insulte au regard. J’éludai la question.
« Alors tu es à Londres, dis-je négligemment.
- Oh, oui.
- Ca doit faire des années que tu n’es pas revenu.
- Oh, oui.
- Et là, tu pars pour une soirée de fête.
Il frissonna un peu. Il avait, observais-je, l’air d’une bête traquée.
- De fête !
- Tu n’as pas envie de t’encanailler ?
- Oh, je suppose que tout ira bien, répondit-il d’une voix éteinte. Bon, il faut que j’y aille, je crois. Le machin commence vers onze heures. J’ai dit à mon taxi d’attendre… Vous pouvez aller voir s’il est toujours là, Jeeves ?
- Parfaitement, monsieur. »
Il y eut une sorte de blanc après que la porte se fut refermée. Une espèce de tension. Je me préparai un gobelet, tandis que Gussie, qui adorait se faire du mal, se regardait dans la glace. Enfin, je décidai qu’il valait mieux lui faire savoir que j’étais au courant de son affaire. Il se pouvait même qu’il trouvât un réconfort à se confier à une personne expérimentée et sympathique. J’ai souvent constaté, chez les gens en proie au sentiment, que le plus cher désir était une oreille attentive.
« Eh bien, Gussie, vieux crabe, dis-je. On m’a tout dit sur toi.
- Hein ?
- Ton petit problème. Jeeves m’a tout raconté. »
Il ne semblait pas particulièrement mal à l’aise. C’est toujours difficile à dire, bien sûr, venant d’un garçon retranché derrière une barbe de Méphisto, mais il m’a semblé le voir rougir un peu.
- Je préfèrerais que Jeeves évite de se répandre un peu partout. C’est censé être une confidence.
Je ne pouvais laisser passer ce sous-entendu.
- Manger le morceau devant son jeune maître n’est certainement pas se répandre un peu partout, reprochai-je légèrement. Mais de toutes façons, c’est comme cela. Je sais tout. Et je devrais peut être commencer, dis-je, noyant dans mon désir de le motiver et de l’encourager mon opinion que la demoiselle en question était une calamité sentimentale, en te disant que Madeline Basset est une fille charmante. Une championne, jusque ce qu’il te faut.
- Tu la connais donc ?
- Bien sûr que je la connais. Ce qui m’épate, c’est comment vous avez pu vous entrer en contact. Où l’as-tu rencontrée ?
- Elle habitait près de chez moi dans le Lincolnshire il y a deux semaines.
- Oui, mais quand même. Je ne savais pas que tu rendais visite à tes voisins.
- Je ne le fais pas. Je l’ai rencontrée dehors, qui promenait son chien. Le chien s’était mis une épine dans la patte, et quand elle avait essayé de la retirer, elle s’était cassée. Alors, forcément, j’ai dû intervenir.
- Tu as extrait l’épine ?
- Oui.
- Et cela a été le coup de foudre ?
- Oui.
- Et, bon sang, avec pareil exploit à ton actif, tu n’as pas conclu immédiatement ?
- Je n’en ai pas eu le courage.
- Qu’est ce qui s’est passé ?
- Nous avons parlé un moment.
- De quoi ?
- Oh, des oiseaux.
- Des oiseaux ? Quels oiseaux ?
- De ceux qui se trouvaient traîner dans le coin. Et du paysage, et de tout ce genre de chose. Et puis, elle m’a dit qu’elle allait à Londres, et m’a demandé de lui rendre visite si j’y retournais.
- Et après cela, tu ne lui as même pas pris la main ?
- Bien sûr que non. »
Bon, je veux dire, il semblait qu’il n’y ait rien à ajouter. Quand un garçon est si trouillard qu’il n’arrive pas à agir quand on lui sert l’affaire sur un plateau, son cas paraît désespéré. Pourtant, je me souvenais que j’avais été à l’école avec ce non-partant. Que ne ferait-on pas pour un vieux camarade de classe ?
« Ah, bien, dis-je, voyons ce que nous pouvons faire. Les choses peuvent toujours s’arranger. Et de toutes façons, tu seras heureux d’apprendre que je suis à tes côtés dans cette entreprise. Tu as Bertram Wooster dans ton équipe, Gussie.
- Merci, mon vieux. Et Jeeves aussi, bien entendu. C’est le plus important. »
J’admets volontiers que je grimaçais. Il ne pensait pas à mal, je suppose, mais je dois avouer que ce manque de tact ne m’irrita pas qu’un peu. Les gens m’agacent souvent de cette façon, en laissant entendre, je veux dire, qu’à leur avis, Bertram Wooster n’est qu’un numéro, et que Jeeves est la seule personne de la maison pourvue d’un cerveau, et de ressources.
Cela m’horripile.
Et ce soir, cela m’horripilait plus que d’habitude, parce que je commençais à en avoir bigrement assez de Jeeves. Après l’affaire du spencer, je veux dire. C’est vrai, je l’avais forcé à reculer, le soumettant, comme je l’ai raconté, par la force tranquille de mon caractère, mais j’étais encore un rien énervé qu’il ait essayé d’en faire une histoire. Il me semblait que Jeeves cherchait à tout diriger d’une main de fer.
« Et qu’a-t-il fait pour toi ? demandai-je avec raideur.
- Il a longuement réfléchi à la situation.
- Ah oui ?
- C’est sur son conseil que je vais à ce bal.
- Pourquoi ?
- Elle y sera. En fait, c’est elle qui m’a envoyé l’invitation. Et Jeeves a pensé –
- Mais pourquoi pas en Pierrot ? dis-je, revenant sur le point qui m’avait frappé auparavant. Pourquoi cette rupture avec la bonne vieille tradition ?
- Il voulait tout particulièrement que j’y aille en Méphistophélès.
Je sursautai.
- Il a fait cela ? Il a spécialement recommandé ce costume précis ?
- Oui.
- Ha !
- Hein ?
- Rien, juste « ha ! ». »
Et je vais vous dire pourquoi j’ai dit « ha ! ». Après avoir fait tout un fromage parce que je portais un spencer blanc parfaitement normal, un vêtement non seulement tout ce qu’il y a de chic, mais aussi absolument de rigueur, voila que Jeeves, dans le même souffle comme qui dirait, poussait Gussie Fink-Nottle à faire tache au milieu du gratin londonien vêtu de collants écarlates. Amusant, hein ? Il y a de quoi être sidéré par ce genre d’aller-retour.
« Qu’a-t-il contre les Pierrot ?
- Je ne crois pas qu’il s’oppose aux Pierrots en tant que tels. Mais dans mon cas, il ne pensait pas qu’un Pierrot fut adapté.
- Je ne te suis plus.
- Il disait qu’une tenue de Pierrot, bien qu’agréable à l’œil, n’avait pas l’autorité d’un costume de Méphistophélès.
- Je ne comprends toujours pas.
- Eh bien, c’est une question de psychologie, disait-il. »
Il fut un temps où ce genre de commentaire m’aurait abasourdi. Mais une longue pratique de Jeeves avait considérablement étendu le vocabulaire des Wooster. En matière de psychologie de l’individu, Jeeves a toujours été un aigle, et quand il la sort de son chapeau je suis comme un chien de chasse sur une piste.
- Oh, de psychologie ?
- Oui. Jeeves croit fermement que nos vêtements exercent une influence sur notre moral. Il pensait qu’un costume marquant, comme celui-ci, me donnerait du courage. Il disait qu’une tenue de capitaine de pirates irait tout aussi bien. En fait, capitaine de pirates était sa première suggestion, mais j’ai refusé, à cause des bottes.
Je voyais ce qu’il voulait dire. Il y a assez de malheur en ce monde pour que des garçons comme Gussie Fink-Nottle n’aillent pas y déambuler en bottes de marins.
- Et tu te sens plus courageux ?
- Eh bien, pour être tout à fait exact, Bertie, mon vieux, non. »
Un souffle de compassion me balaya. Après tout, même si nous avions perdu contact ces dernières années, c’était un homme avec qui j’avais, naguère, fait une bataille de fléchettes trempées dans l’encre.
« Gussie, dis-je, fais confiance à un vieil ami, et ne t’approche pas à moins d’un mille de ce raout.
- Mais c’est ma dernière chance de la voir. Elle part demain s’installer chez des gens, à la campagne. Et puis, tu n’en sais rien.
- Je ne sais pas quoi ?
- Que cette idée de Jeeves ne marchera pas. Je suis mort de trouille, là, c’est vrai. Mais qui peut dire que ça ne passera pas quand je me retrouverai au milieu d’une meute d’autres gens déguisés ? J’ai eu, étant enfant, une expérience similaire, une année pendant les fêtes de Noël. On m’avait déguisé en lapin et la honte était indescriptible. Pourtant, quand je suis arrivé à la soirée, et me suis retrouvé au milieu de dizaines d’autres enfants, certains dans des tenues encore plus affreuses que la mienne, à mon grand étonnement, j’ai relevé la tête, festoyé en toute liberté, et ai pu, au dîner, manger de si bon cœur que j’ai été malade deux fois dans le taxi qui me ramenait à la maison. Ce que je veux dire, c’est qu’on ne peut pas dire, à froid.
Je pesai l’argument. Il était spécieux, bien sûr.
- Et tu ne peux pas échapper au fait que l’idée de Jeeves est solide à la base. Dans un costume voyant, comme Méphistophélès, je pourrai bien plus facilement faire sensation. C’est la couleur qui fait la différence. Regarde les tritons. Pendant la saison des amours, le triton mâle prend des couleurs vives. Et ceci l’aide beaucoup.
- Mais tu n’es pas un triton mâle.
- J’aimerais en être un. Tu sais comment le triton mâle fait sa déclaration, Bertie ? Il se place juste devant la femelle, faisant vibrer sa queue, et tordant son corps en demi-cercle. Je pourrais faire cela debout sur ma tête. Non, je ne serais pas là en train de grogner si j’étais un triton.
- Mais si tu étais un triton, Madeline Bassett ne ferait pas attention à toi. Pas avec des yeux amoureux, je veux dire.
- Elle le serait, si elle était un triton femelle.
- Mais elle n’est pas un triton femelle.
- Non, mais imagine qu’elle en soit un.
- Eh bien, si elle en était un, tu ne serais pas amoureux d’elle.
- Je le serais si j’étais un triton mâle.
Une légère pulsation au niveau des tempes m’indiqua que cette discussion avait atteint un point de saturation.
- Bon, quoi qu’il en soit, dis-je pour revenir aux faits établis et chasser toutes ces visions de queues qui vibrent et de je ne sais quoi, ce qui ressort de plus marquant, c’est que tu es invité à paraître à un bal costumé. Et je peux t’affirmer, Gussie, du haut de ma profonde expérience des bals costumés, que tu ne vas pas apprécier.
- La question n’est pas d’apprécier.
- Je n’irais pas.
- Je dois y aller. Je n’arrête pas de te dire qu’elle part à la campagne demain.
J’abandonnai.
- Ainsi soit-il, dis-je. Fais comme tu veux… Oui, Jeeves ?
- Le taxi de Monsieur Fink-Nottle, monsieur.
- Ah ? Le taxi, hein ?.... Ton taxi, Gussie.
- Oh, le taxi ? Ah oui. Bien sûr, oui, plutôt… Merci, Jeeves… Eh bien, au revoir, Bertie. »
Et, me lançant le sourire veule que les gladiateurs Romains envoyaient à l’empereur juste avant d’entrer dans l’arène, Gussie dégoulina dehors. Je me retournai vers Jeeves. Le moment était venu de le remettre à sa place. Je ne souhaitais pas autre chose.
Il était un peu difficile de savoir où commencer, bien sûr. Je veux dire, bien que fermement résolu à le tancer, je ne souhaitais pas faire dans son amour-propre une entaille trop profonde. Même lorsque nous révélons notre poigne de fer, nous, Wooster, cherchons toujours à rester copains.
Cependant, en y réfléchissant, je voyais bien qu’il n’y avait rien à gagner à essayer d’y venir en douceur. Il n’est jamais utile de tourner autour du p.
« Jeeves, dis-je, puis-je vous parler franchement ?
- Certainement, Monsieur.
- Ce que j’ai à dire pourrait vous blesser.
- Pas du tout, monsieur.
- Bien, alors, je viens de bavarder avec Monsieur Fink-Nottle, qui m’a raconté ce plan méphistophélien que vous avez imaginé.
- Oui, monsieur ?
- Bon, laissez-moi bien comprendre. Si j’ai correctement suivi votre raisonnement, vous pensez que, stimulé par un retapissage complet en collants écarlates, Monsieur Fink-Nottle, mis en présence de l’objet de son adoration, vibrera de la queue, et plus généralement se laissera aller à grands cris.
- J’ai pour opinion qu’il perdra une grande partie de sa réticence habituelle, monsieur.
- Je ne suis pas d’accord avec vous, Jeeves.
- Non, monsieur ?
- Non. En fait, et sans vouloir trop monter les choses en épingle, je considère que parmi toutes les idées salement ridicules et délirantes qu’il m’a été donné de respirer, c’est une des plus imbéciles et des plus niaises. Ca ne marchera pas. Aucune chance. Tout ce que vous aurez fait aura été de soumettre Monsieur Fink-Nottle à l’horreur sans nom d’un bal costumé, pour rien. Et ce n’est pas la première fois que ce genre de choses se produit. Pour être tout à fait clair, Jeeves, j’ai souvent remarqué dans le passé une tendance, une disposition de votre part, à être – quel est le mot ?
- Je ne saurais dire, monsieur.
- Eloquent ? Non, pas éloquent. Evasif ? Non, pas évasif. Je l’ai sur le bout de la langue. Cela commence par un « e », et cela veut dire carrément trop intelligent.
- Elaboré, monsieur ?
- C’est précisément le mot que je cherchais. Trop élaboré, Jeeves – c’est ce que vous avez souvent tendance à devenir. Vos méthodes ne sont pas simples, pas directes. Vous embrouillez l’affaire dans toutes sortes de choses compliquées mais inessentielles. Tout ce dont Gussie a besoin, ce sont des conseils amicaux d’un grand frère ayant l’expérience du monde. Aussi, je suggère qu’à partir de maintenant, vous me laissiez cette affaire.
- Très bien, monsieur.
- Laissez tomber, et concentrez-vous à vos tâches ménagères.
- Très bien, monsieur.
- Je trouverai certainement avant longtemps quelque chose de simple, direct, et pourtant parfaitement efficace. J’aurai à cœur de voir Gussie demain.
- Très bien, monsieur.
- Bien bien, Jeeves.
Mais le lendemain, tous ces télégrammes se mirent à arriver, et je dois avouer que pendant vingt-quatre heures, je ne pensais plus à ce pauvre garçon, ayant assez de problèmes personnels à résoudre.
Vous n’auriez peut-être pas pu le deviner à ma voix, mais j’étais carrément interloqué. Le spectacle qui s’offrait à moi aurait suffi à interloquer n’importe qui. Je veux dire, ce Fink-Nottle, tel que je me le rappelais, était le genre de falot timide et ratatiné qu’on s’attendait à voir trembler comme un saule si on l’invitait à rien plus qu’un samedi après-midi chez monsieur le curé. Et pourtant, il était là, s’il fallait en croire ses propres sens, prêt à partir à un bal costumé, genre de loisir connu pour mettre à rude épreuve les caractères plus solides.
Et il allait à cette soirée costumée, notez le bien – non pas déguisé en Pierrot, comme n’importe quel Anglais bien élevé, mais en Méphistophélès – ce qui implique, ai-je besoin de le rappeler, non seulement des collants écarlates, mais également une effrayante fausse barbe.
Insolite, vous en conviendrez. Toutefois, on sait dissimuler ses sentiments. Je ne trahis aucun étonnement vulgaire, mais lui lançai, comme je l’ai dit, un quoi de neuf poli et nonchalant.
Il me sourit à travers la mousse – un peu moutonnier, pensai-je.
« Oh, allo, Bertie.
- Un moment qu’on ne s’est pas vus. Tu as un créneau ?
- Non, je te remercie. Je dois partir dans une minute. Je suis juste venu demander à Jeeves comment il me trouvait. Comment me trouves-tu, Bertie ? »
Bon, la réponse était bien sûr : « tout à fait immonde ». Mais nous, Wooster, savons faire preuve de tact, et avons un sens aigu des responsabilités qui incombent à un hôte. Sous notre toit, nous n’expliquons pas à de vieux amis qu’ils sont une insulte au regard. J’éludai la question.
« Alors tu es à Londres, dis-je négligemment.
- Oh, oui.
- Ca doit faire des années que tu n’es pas revenu.
- Oh, oui.
- Et là, tu pars pour une soirée de fête.
Il frissonna un peu. Il avait, observais-je, l’air d’une bête traquée.
- De fête !
- Tu n’as pas envie de t’encanailler ?
- Oh, je suppose que tout ira bien, répondit-il d’une voix éteinte. Bon, il faut que j’y aille, je crois. Le machin commence vers onze heures. J’ai dit à mon taxi d’attendre… Vous pouvez aller voir s’il est toujours là, Jeeves ?
- Parfaitement, monsieur. »
Il y eut une sorte de blanc après que la porte se fut refermée. Une espèce de tension. Je me préparai un gobelet, tandis que Gussie, qui adorait se faire du mal, se regardait dans la glace. Enfin, je décidai qu’il valait mieux lui faire savoir que j’étais au courant de son affaire. Il se pouvait même qu’il trouvât un réconfort à se confier à une personne expérimentée et sympathique. J’ai souvent constaté, chez les gens en proie au sentiment, que le plus cher désir était une oreille attentive.
« Eh bien, Gussie, vieux crabe, dis-je. On m’a tout dit sur toi.
- Hein ?
- Ton petit problème. Jeeves m’a tout raconté. »
Il ne semblait pas particulièrement mal à l’aise. C’est toujours difficile à dire, bien sûr, venant d’un garçon retranché derrière une barbe de Méphisto, mais il m’a semblé le voir rougir un peu.
- Je préfèrerais que Jeeves évite de se répandre un peu partout. C’est censé être une confidence.
Je ne pouvais laisser passer ce sous-entendu.
- Manger le morceau devant son jeune maître n’est certainement pas se répandre un peu partout, reprochai-je légèrement. Mais de toutes façons, c’est comme cela. Je sais tout. Et je devrais peut être commencer, dis-je, noyant dans mon désir de le motiver et de l’encourager mon opinion que la demoiselle en question était une calamité sentimentale, en te disant que Madeline Basset est une fille charmante. Une championne, jusque ce qu’il te faut.
- Tu la connais donc ?
- Bien sûr que je la connais. Ce qui m’épate, c’est comment vous avez pu vous entrer en contact. Où l’as-tu rencontrée ?
- Elle habitait près de chez moi dans le Lincolnshire il y a deux semaines.
- Oui, mais quand même. Je ne savais pas que tu rendais visite à tes voisins.
- Je ne le fais pas. Je l’ai rencontrée dehors, qui promenait son chien. Le chien s’était mis une épine dans la patte, et quand elle avait essayé de la retirer, elle s’était cassée. Alors, forcément, j’ai dû intervenir.
- Tu as extrait l’épine ?
- Oui.
- Et cela a été le coup de foudre ?
- Oui.
- Et, bon sang, avec pareil exploit à ton actif, tu n’as pas conclu immédiatement ?
- Je n’en ai pas eu le courage.
- Qu’est ce qui s’est passé ?
- Nous avons parlé un moment.
- De quoi ?
- Oh, des oiseaux.
- Des oiseaux ? Quels oiseaux ?
- De ceux qui se trouvaient traîner dans le coin. Et du paysage, et de tout ce genre de chose. Et puis, elle m’a dit qu’elle allait à Londres, et m’a demandé de lui rendre visite si j’y retournais.
- Et après cela, tu ne lui as même pas pris la main ?
- Bien sûr que non. »
Bon, je veux dire, il semblait qu’il n’y ait rien à ajouter. Quand un garçon est si trouillard qu’il n’arrive pas à agir quand on lui sert l’affaire sur un plateau, son cas paraît désespéré. Pourtant, je me souvenais que j’avais été à l’école avec ce non-partant. Que ne ferait-on pas pour un vieux camarade de classe ?
« Ah, bien, dis-je, voyons ce que nous pouvons faire. Les choses peuvent toujours s’arranger. Et de toutes façons, tu seras heureux d’apprendre que je suis à tes côtés dans cette entreprise. Tu as Bertram Wooster dans ton équipe, Gussie.
- Merci, mon vieux. Et Jeeves aussi, bien entendu. C’est le plus important. »
J’admets volontiers que je grimaçais. Il ne pensait pas à mal, je suppose, mais je dois avouer que ce manque de tact ne m’irrita pas qu’un peu. Les gens m’agacent souvent de cette façon, en laissant entendre, je veux dire, qu’à leur avis, Bertram Wooster n’est qu’un numéro, et que Jeeves est la seule personne de la maison pourvue d’un cerveau, et de ressources.
Cela m’horripile.
Et ce soir, cela m’horripilait plus que d’habitude, parce que je commençais à en avoir bigrement assez de Jeeves. Après l’affaire du spencer, je veux dire. C’est vrai, je l’avais forcé à reculer, le soumettant, comme je l’ai raconté, par la force tranquille de mon caractère, mais j’étais encore un rien énervé qu’il ait essayé d’en faire une histoire. Il me semblait que Jeeves cherchait à tout diriger d’une main de fer.
« Et qu’a-t-il fait pour toi ? demandai-je avec raideur.
- Il a longuement réfléchi à la situation.
- Ah oui ?
- C’est sur son conseil que je vais à ce bal.
- Pourquoi ?
- Elle y sera. En fait, c’est elle qui m’a envoyé l’invitation. Et Jeeves a pensé –
- Mais pourquoi pas en Pierrot ? dis-je, revenant sur le point qui m’avait frappé auparavant. Pourquoi cette rupture avec la bonne vieille tradition ?
- Il voulait tout particulièrement que j’y aille en Méphistophélès.
Je sursautai.
- Il a fait cela ? Il a spécialement recommandé ce costume précis ?
- Oui.
- Ha !
- Hein ?
- Rien, juste « ha ! ». »
Et je vais vous dire pourquoi j’ai dit « ha ! ». Après avoir fait tout un fromage parce que je portais un spencer blanc parfaitement normal, un vêtement non seulement tout ce qu’il y a de chic, mais aussi absolument de rigueur, voila que Jeeves, dans le même souffle comme qui dirait, poussait Gussie Fink-Nottle à faire tache au milieu du gratin londonien vêtu de collants écarlates. Amusant, hein ? Il y a de quoi être sidéré par ce genre d’aller-retour.
« Qu’a-t-il contre les Pierrot ?
- Je ne crois pas qu’il s’oppose aux Pierrots en tant que tels. Mais dans mon cas, il ne pensait pas qu’un Pierrot fut adapté.
- Je ne te suis plus.
- Il disait qu’une tenue de Pierrot, bien qu’agréable à l’œil, n’avait pas l’autorité d’un costume de Méphistophélès.
- Je ne comprends toujours pas.
- Eh bien, c’est une question de psychologie, disait-il. »
Il fut un temps où ce genre de commentaire m’aurait abasourdi. Mais une longue pratique de Jeeves avait considérablement étendu le vocabulaire des Wooster. En matière de psychologie de l’individu, Jeeves a toujours été un aigle, et quand il la sort de son chapeau je suis comme un chien de chasse sur une piste.
- Oh, de psychologie ?
- Oui. Jeeves croit fermement que nos vêtements exercent une influence sur notre moral. Il pensait qu’un costume marquant, comme celui-ci, me donnerait du courage. Il disait qu’une tenue de capitaine de pirates irait tout aussi bien. En fait, capitaine de pirates était sa première suggestion, mais j’ai refusé, à cause des bottes.
Je voyais ce qu’il voulait dire. Il y a assez de malheur en ce monde pour que des garçons comme Gussie Fink-Nottle n’aillent pas y déambuler en bottes de marins.
- Et tu te sens plus courageux ?
- Eh bien, pour être tout à fait exact, Bertie, mon vieux, non. »
Un souffle de compassion me balaya. Après tout, même si nous avions perdu contact ces dernières années, c’était un homme avec qui j’avais, naguère, fait une bataille de fléchettes trempées dans l’encre.
« Gussie, dis-je, fais confiance à un vieil ami, et ne t’approche pas à moins d’un mille de ce raout.
- Mais c’est ma dernière chance de la voir. Elle part demain s’installer chez des gens, à la campagne. Et puis, tu n’en sais rien.
- Je ne sais pas quoi ?
- Que cette idée de Jeeves ne marchera pas. Je suis mort de trouille, là, c’est vrai. Mais qui peut dire que ça ne passera pas quand je me retrouverai au milieu d’une meute d’autres gens déguisés ? J’ai eu, étant enfant, une expérience similaire, une année pendant les fêtes de Noël. On m’avait déguisé en lapin et la honte était indescriptible. Pourtant, quand je suis arrivé à la soirée, et me suis retrouvé au milieu de dizaines d’autres enfants, certains dans des tenues encore plus affreuses que la mienne, à mon grand étonnement, j’ai relevé la tête, festoyé en toute liberté, et ai pu, au dîner, manger de si bon cœur que j’ai été malade deux fois dans le taxi qui me ramenait à la maison. Ce que je veux dire, c’est qu’on ne peut pas dire, à froid.
Je pesai l’argument. Il était spécieux, bien sûr.
- Et tu ne peux pas échapper au fait que l’idée de Jeeves est solide à la base. Dans un costume voyant, comme Méphistophélès, je pourrai bien plus facilement faire sensation. C’est la couleur qui fait la différence. Regarde les tritons. Pendant la saison des amours, le triton mâle prend des couleurs vives. Et ceci l’aide beaucoup.
- Mais tu n’es pas un triton mâle.
- J’aimerais en être un. Tu sais comment le triton mâle fait sa déclaration, Bertie ? Il se place juste devant la femelle, faisant vibrer sa queue, et tordant son corps en demi-cercle. Je pourrais faire cela debout sur ma tête. Non, je ne serais pas là en train de grogner si j’étais un triton.
- Mais si tu étais un triton, Madeline Bassett ne ferait pas attention à toi. Pas avec des yeux amoureux, je veux dire.
- Elle le serait, si elle était un triton femelle.
- Mais elle n’est pas un triton femelle.
- Non, mais imagine qu’elle en soit un.
- Eh bien, si elle en était un, tu ne serais pas amoureux d’elle.
- Je le serais si j’étais un triton mâle.
Une légère pulsation au niveau des tempes m’indiqua que cette discussion avait atteint un point de saturation.
- Bon, quoi qu’il en soit, dis-je pour revenir aux faits établis et chasser toutes ces visions de queues qui vibrent et de je ne sais quoi, ce qui ressort de plus marquant, c’est que tu es invité à paraître à un bal costumé. Et je peux t’affirmer, Gussie, du haut de ma profonde expérience des bals costumés, que tu ne vas pas apprécier.
- La question n’est pas d’apprécier.
- Je n’irais pas.
- Je dois y aller. Je n’arrête pas de te dire qu’elle part à la campagne demain.
J’abandonnai.
- Ainsi soit-il, dis-je. Fais comme tu veux… Oui, Jeeves ?
- Le taxi de Monsieur Fink-Nottle, monsieur.
- Ah ? Le taxi, hein ?.... Ton taxi, Gussie.
- Oh, le taxi ? Ah oui. Bien sûr, oui, plutôt… Merci, Jeeves… Eh bien, au revoir, Bertie. »
Et, me lançant le sourire veule que les gladiateurs Romains envoyaient à l’empereur juste avant d’entrer dans l’arène, Gussie dégoulina dehors. Je me retournai vers Jeeves. Le moment était venu de le remettre à sa place. Je ne souhaitais pas autre chose.
Il était un peu difficile de savoir où commencer, bien sûr. Je veux dire, bien que fermement résolu à le tancer, je ne souhaitais pas faire dans son amour-propre une entaille trop profonde. Même lorsque nous révélons notre poigne de fer, nous, Wooster, cherchons toujours à rester copains.
Cependant, en y réfléchissant, je voyais bien qu’il n’y avait rien à gagner à essayer d’y venir en douceur. Il n’est jamais utile de tourner autour du p.
« Jeeves, dis-je, puis-je vous parler franchement ?
- Certainement, Monsieur.
- Ce que j’ai à dire pourrait vous blesser.
- Pas du tout, monsieur.
- Bien, alors, je viens de bavarder avec Monsieur Fink-Nottle, qui m’a raconté ce plan méphistophélien que vous avez imaginé.
- Oui, monsieur ?
- Bon, laissez-moi bien comprendre. Si j’ai correctement suivi votre raisonnement, vous pensez que, stimulé par un retapissage complet en collants écarlates, Monsieur Fink-Nottle, mis en présence de l’objet de son adoration, vibrera de la queue, et plus généralement se laissera aller à grands cris.
- J’ai pour opinion qu’il perdra une grande partie de sa réticence habituelle, monsieur.
- Je ne suis pas d’accord avec vous, Jeeves.
- Non, monsieur ?
- Non. En fait, et sans vouloir trop monter les choses en épingle, je considère que parmi toutes les idées salement ridicules et délirantes qu’il m’a été donné de respirer, c’est une des plus imbéciles et des plus niaises. Ca ne marchera pas. Aucune chance. Tout ce que vous aurez fait aura été de soumettre Monsieur Fink-Nottle à l’horreur sans nom d’un bal costumé, pour rien. Et ce n’est pas la première fois que ce genre de choses se produit. Pour être tout à fait clair, Jeeves, j’ai souvent remarqué dans le passé une tendance, une disposition de votre part, à être – quel est le mot ?
- Je ne saurais dire, monsieur.
- Eloquent ? Non, pas éloquent. Evasif ? Non, pas évasif. Je l’ai sur le bout de la langue. Cela commence par un « e », et cela veut dire carrément trop intelligent.
- Elaboré, monsieur ?
- C’est précisément le mot que je cherchais. Trop élaboré, Jeeves – c’est ce que vous avez souvent tendance à devenir. Vos méthodes ne sont pas simples, pas directes. Vous embrouillez l’affaire dans toutes sortes de choses compliquées mais inessentielles. Tout ce dont Gussie a besoin, ce sont des conseils amicaux d’un grand frère ayant l’expérience du monde. Aussi, je suggère qu’à partir de maintenant, vous me laissiez cette affaire.
- Très bien, monsieur.
- Laissez tomber, et concentrez-vous à vos tâches ménagères.
- Très bien, monsieur.
- Je trouverai certainement avant longtemps quelque chose de simple, direct, et pourtant parfaitement efficace. J’aurai à cœur de voir Gussie demain.
- Très bien, monsieur.
- Bien bien, Jeeves.
Mais le lendemain, tous ces télégrammes se mirent à arriver, et je dois avouer que pendant vingt-quatre heures, je ne pensais plus à ce pauvre garçon, ayant assez de problèmes personnels à résoudre.
Libellés :
anglais,
PG Wodehouse (1881-1975)
vendredi 23 mai 2014
PG Wodehouse - Bien bien, Jeeves - chapitre I
« Jeeves, dis-je, puis-je vous parler franchement ?
- Certainement, Monsieur.
- Ce que j’ai à dire pourrait vous blesser.
- Pas du tout, monsieur.
- Bien, alors… »
Non – attendez. Restez en ligne une minute. Je déraillais.
Je ne sais pas si vous en avez aussi fait l’expérience, mais l’os sur lequel je tombe à chaque fois que je raconte une histoire, c’est cette question bigrement difficile. Où commencer. C’est un point sur lequel on ne doit pas se tromper, un faux pas et vous êtes cuit. Je veux dire, si vous traînez trop longtemps au début, en essayant, comme ils disent, de créer une atmosphère, tout ce genre de trucs, vous n’accrochez pas et vos clients s’en vont.
Démarrez en trombe, à l’inverse, comme un chat ébouillanté, et votre public est perdu. Il se contente de lever les sourcils, sans comprendre ce dont vous parlez.
Aussi, en ouvrant mon récit de la délicate affaire de Gussie Fink-Nottle, Madeline Bassett, ma cousine Angela, ma tante Dahlia, mon oncle Thomas, du jeune Tuppy Glossop et du cuisinier Anatole sur l’extrait de dialogue ci-dessus, je vois que je viens de commettre la seconde de ces deux bourdes.
Il faut que je revienne un peu en arrière. Et l’un dans l’autre et pesant chaque chose, je crois qu’on pourrait dire que le prologue, si prologue est bien le mot que je cherche, de cette histoire est le voyage que j’ai fait à Cannes. Si je n’étais pas allé à Cannes, je n’aurais pas rencontré la Basset, ni acheté ce spencer blanc, et Angela n’aurait pas vu son requin, et tante Dahlia n’aurait pas joué au baccarat.
Oui, c’est l’évidence, Cannes fut le point d’appui.
Bien bien, alors. Rassemblons nos faits.
J’étais parti pour Cannes – laissant derrière moi Jeeves qui m’avait fait comprendre qu’il ne voulait pas rater Ascot – tout juste vers le début de mois de Juin. Je voyageais avec ma tante Dahlia et sa fille, Angela. Tuppy Glossop, le fiancé d’Angela, était censé nous accompagner mais avait dû se décommander à la dernière minute. Oncle Tom, le mari de tante Angela, était resté à la maison, parce qu’il ne se taperait le Sud de la France à aucun prix.
Donc vous avez le tableau – la tante Dahlia, la cousine Angela et moi, partant pour Cannes juste au début de Juin.
Jusque-là tout est clair, hein ?
Nous sommes restés à Cannes environ deux mois, et en dehors du fait que la tante Dahlia perdit sa chemise au baccarat, et qu’Angela faillit se faire aspirer par un requin en faisant de l’aquaplane, chacun y passa d’excellents moments.
Le vingt-cinq juillet, l’air bronzé et bien portant, je raccompagnais la tante et sa fille à Londres. Le vingt-six juillet à sept heures du soir, nos débarquâmes à Victoria. Et à sept heures vingt à peu de chose près, nous nous séparâmes dans des transports d’affection partagée – elles se tirant dans la voiture de tante Dahlia pour Brinkley Court, sa maison dans le Worcestershire, où elle comptaient recevoir Tuppy d’ici un jour ou deux; moi rentrant à l’appartement, posant mes valises, faisant un brin de toilette, et enfilant la queue de pie préalable à un tour du côté des Drones pour y manger un morceau.
Et c’est alors que j’étais à l’appartement, m’essuyant le torse après un rinçage bien mérité, que Jeeves, comme nous bavardions de choses et d’autres – raccrochant les fils, en fait – introduisit soudain dans la conversation le nom de Gussie Fink-Nottle.
Si ma mémoire est bonne, notre dialogue ressemblait à ceci :
MOI : Eh bien, Jeeves, nous y voila, hein ?
JEEVES : Oui, monsieur.
MOI : Enfin je veux dire, de retour chez soi.
JEEVES : Précisément, monsieur.
MOI : J’ai l’impression d’être parti depuis une éternité.
JEEVES : Oui, monsieur
MOI : Vous vous être bien amusé à Ascot ?
JEEVES : Très agréable, monsieur.
MOI : Gagné quelque chose ?
JEEVES : Une somme tout à fait correcte, merci, monsieur.
MOI : Bien. Alors, Jeeves, quelles nouvelles en mon absence ? Quelqu’un a téléphoné, est passé, quoi que ce soit, pendant mes vacs. ?
JEEVES : Mr Fink-Nottle, monsieur, vous a rendu de fréquentes visites.
J’écarquillai. En fait, ce ne serait pas exagérer de dire que je béai.
« Monsieur Fink-Nottle ?
- Oui, monsieur.
- Vous avez dit Monsieur Fink-Nottle ?
- Oui, monsieur.
- Mais monsieur Fink-Nottle n’est pas à Londres ?
- Si, monsieur.
- Eh bien, j’en suis épaté. »
Et je vais vous dire pourquoi j’étais épaté. Je trouvais à peine possible d’accorder foi à cette affirmation. Ce Fink-Nottle, voyez-vous, était un de ces dingues dont on croise de temps en temps la trajectoire et qui ne supportent pas Londres. Il habitait, bon an mal an, couvert de mousse, un village perdu dans le Lincolnshire, et ne remontait même pas pour le match Eton contre Harrow. Et quand je lui demandai, un jour, s’il ne trouvait pas le temps un peu long, il me répondit que non, parce qu’il avait dans son jardin un étang où il étudiait les mœurs des tritons.
Je n’arrivais pas à imaginer ce qui avait pu ramener ce garçon dans la grande ville. J’aurais été prêt à parier que tant que la réserve de tritons n’était pas épuisée, rien n’aurait pu le tirer de son village.
« Vous en êtes certain ?
- Oui, monsieur.
- Vous ne vous êtes pas trompé de nom ? Fink-Nottle ?
- Oui, monsieur.
- Eh bien, c’est tout à fait extraordinaire. Cela doit faire au moins cinq ans qu’il n’est pas venu à Londres. Il ne se cache pas du fait que cette ville lui donne le cafard. Et jusqu’à présent, il est toujours resté collé dans sa campagne, tout entouré de tritons.
- Monsieur ?
- De tritons, Jeeves. Monsieur Fink-Nottle présente un sérieux complexe du triton. Vous avez certainement entendu parler des tritons, ces espèces de petits lézards qui grouillent dans les étangs.
- Oh, oui, monsieur. Ces membres aquatiques de la famille des Salamandridae, qui constituent le genre Molge.
- Voila. Eh bien, Gussie en a toujours été dingue. Il en élevait déjà à l’école.
- Je crois que c’est assez courant, chez les jeunes gens, monsieur.
- Il les gardait dans son bureau, dans une espèce d’assemblage de bocaux de verre, et l’ensemble était plutôt malodorant, je me souviens. Je suppose qu’on aurait pu, dès lors, deviner comment tout cela finirait, mais vous savez comment sont les jeunes gens. Insouciants, négligents, tout à nos propres affaires, nous faisions à peine attention à ce côté bizarre du caractère de Gussie. Peut-être avons-nous échangé une remarque ou deux à son sujet, dit qu’il fallait de tout pour faire un monde, mais rien de plus. Et vous pouvez imaginer la suite. Le mal s’est répandu.
- Vraiment, monsieur ?
- Absolument, Jeeves. Sa passion l’a dévoré. Les tritons l’ont emporté. Arrivé à l’âge d’homme, il s’est retiré dans les profondeurs de la campagne, et a voué son existence à ses camarades abrutis. Je suppose qu’il s’est longtemps dit qu’il les quittait quand il voulait, avant de découvrir – trop tard - qu’il n’en était plus capable.
- C’est souvent le cas, monsieur.
- Hélas, Jeeves. Quoi qu’il en soit, il a passé les cinq dernières années dans cet endroit dans le Lincolnshire, le plus véritable ermite fuyant ses semblables qui ait jamais changé un jour sur deux l’eau de ses bocaux et refusé de recevoir quiconque. C’est pourquoi j’ai été stupéfait quand vous m’avez annoncé qu’il était soudain remonté à la surface. Je n’arrive toujours pas à le croire. J’ai tendance à penser qu’il doit s’agir d’une erreur, et que cet oiseau qui nous a rendu visite est une variété différente de Fink-Nottle. Le gars que je connais porte des lunettes à monture d’écaille, et un visage de poisson. Cela s’accorde-t-il avec vos observations ?
- Le jeune homme qui est venu à l’appartement portait des lunettes à monture d’écaille, monsieur.
- Et semblait posé sur un étal ?
- Il laissait peut-être une légère impression piscicole, monsieur.
- Alors je suppose que c’était Gussie. Mais quelle diable d’affaire a pu l’amener à Londres ?
- Je suis en position de l’expliquer, monsieur. Monsieur Fink-Nottle m’a confié le motif de sa visite à la métropole. Il est venu parce qu’une jeune femme s’y trouve.
- Une jeune femme ?
- Oui, monsieur.
- Ne me dites pas qu’il est amoureux.
- Si, monsieur.
- Eh bien, je suis sidéré. Je suis vraiment sidéré. Positivement sidéré, Jeeves. »
Et je l’étais vraiment. Je veux dire, rien de tel qu’une bonne blague, mais il y a des limites.
Puis, je sentis mon esprit se tourner vers un autre aspect de cette curieuse affaire. Admettant que Gussie Fink-Nottle, contre toutes les lois du bon sens, ait pu tomber amoureux, pourquoi venait-il ainsi hanter mon appartement ? Sans doute était-ce une de ces situations où l’on a besoin d’un ami, mais je ne voyais pas pour quelle raison c’était moi qu’il avait choisi.
Ce n’était pas comme si lui et moi étions de quelque façon intimes. Bien sûr, à une époque, nous nous étions beaucoup vus, mais sur les deux dernières années, je n’avais même pas reçu une carte de sa part.
J’exposais la chose à Jeeves.
« Etrange qu’il soit venu me voir. Bon, s’il l’a fait, c’est qu’il l’a fait. Il n’y a rien à y redire. Cela a dû lui mettre un sale coup, pauvre drôle, quand il vu que je n’étais pas là.
- Non, monsieur. Monsieur Fink-Nottle n’est pas venu vous voir, monsieur.
- Reprenez-vous, Jeeves. Vous venez de m’expliquer que c’était ce qu’il avait fait, et assidûment, de surcroît.
- C’est avec moi qu’il était désireux d’entrer en contact, monsieur.
- Vous ? Je ne savais pas que vous l’aviez rencontré auparavant.
- Avant sa visite, je n’avais pas eu ce plaisir, monsieur. Mais il semble que Monsieur Sipperley, un condisciple de Monsieur Fink-Nottle à l’université, lui a recommandé de placer son affaire entre mes mains. »
Le mystère était éclairci. Je comprenais tout. Comme j’imagine que vous le savez, la réputation de Jeeves comme conseiller est depuis longtemps établie dans la société éclairée, et le premier mouvement de quiconque, dans mon petit cercle, se retrouvait dans n‘importe quel pétrin, était toujours de rouler par ici et de lui présenter les choses. Et quand il avait tiré A d’une sale affaire, A le présentait à B. Et puis, quand il avait arrangé B, B lui envoyait C. Et ainsi de suite, si vous voyez ce que je veux dire, et encore.
C’est ainsi que les grosses affaires de conseil, comme celle de Jeeves, se développent. Le vieux Sippy avait, je crois, été profondément impressionné par ses interventions en sa faveur, à l’époque où il essayait de se fiancer à Elizabeth Moon. Aussi, il n’y avait rien d’étonnant à ce qu’il conseille à Gussie de faire appel à Jeeves. C’était la routine, si vous voulez.
« Oh, vous travaillez pour lui, n’est-ce pas ?
- Oui monsieur
- Je vois maintenant. Je comprends maintenant. Et quel est le problème de Gussie ?
- Curieusement, monsieur, précisément le même que celui de monsieur Sipperley quand j’avais eu l’occasion de lui être utile. Vous vous souvenez sans doute des embarras de monsieur Sipperley, monsieur. Profondément attaché à mademoiselle Moon, il souffrait d’une appréhension si ancrée qu’il lui était impossible de lui parler. »
J’acquiesçais.
« Je me le rappelle. Oui, je me souviens de l’affaire Sipperley. Il n’arrivait pas à aller au contact. Un traînement marqué des pieds, n’est-ce pas. Et il me revient que vous disiez qu’il laissait – qu’était-ce donc ? – laissait quelque chose faire autre chose. Il y avait des chats dedans, je ne m’abuse.
- Laissait un « je n’ose » suivre un « je voudrais », monsieur
- C’est cela. Et pour les chats ?
- Comme le pauvre chat de l’adage, monsieur.
- Exactement. Je ne comprends pas comment vous retrouvez tous ces trucs. Et Gussie, dites-vous, a le même problos ?
- Oui, monsieur. A chaque fois qu’il tente de formuler une demande en mariage, le courage lui manque.
- Et pourtant, s’il veut que cette femme devienne la sienne, il va falloir qu’il le dise, hein ? Je veux dire, c’est la moindre des politesses.
- Précisément, monsieur. »
Je réfléchissais.
« Eh bien, je suppose que c’était inévitable, Jeeves. Je n’aurais pas cru que ce Fink-Nottle tombe jamais victime de la divine p., mais, quand cela arrive, il n’y a rien d’étonnant à ce qu’il trouve le chemin rude.
- Oui, monsieur.
- Regardez la vie qu’il a menée.
- Oui, monsieur.
- Je ne crois pas qu’il ait parlé à une fille depuis des années. Quelle belle leçon pour nous, Jeeves, de ne pas aller nous enfermer à la campagne à contempler des bocaux de verre. On ne peut être un mâle dominant quand on fait ce genre de choses. Dans cette vie, il faut choisir entre deux routes : soit s’enfermer à la campagne à contempler des bocaux, soit avoir du succès auprès du sexe opposé. On ne peut avoir les deux.
- Non, monsieur. »
Je réfléchissais encore. Comme je l’ai dit, Gussie et moi avions passablement perdu le contact, mais j’étais pourtant touché par le pauvre animal, comme je le suis à chaque fois qu’un de mes copains, proche ou éloigné, se retrouve à marcher sur une des peaux de bananes de la Vie. Et il me semblait que c’était bien ce qui l’attendait.
Je me reportais en esprit à la dernière fois que je l’avais vu. C’était il y environ deux ans. J’étais allé le voir chez lui, à l’occasion d’un circuit en voiture, et il m’avait tout de suite coupé l’appétit en invitant à la table du déjeuner une paire de choses vertes avec des pattes, qu’il dorlotait comme une jeune mère, avant de perdre l’une des deux dans la salade. Cette scène, maintenant bien devant mes yeux, ne m’inspirait aucune confiance quant à la capacité de ce pauvre imbécile à séduire et conquérir, je dois dire. Surtout si la jeune fille qu’il avait repérée était une de ces dures canailles d’aujourd’hui, tout rouge à lèvre et regards froids, durs et sardoniques, sans doute.
« Dites-moi, Jeeves, dis-je, me préparant au pire, quel genre de fille est cette amie de Gussie ?
- Je n’ai pas rencontré la demoiselle, monsieur. Monsieur Fink-Nottle n’a que des compliments pour ses attraits.
- Il a l’air de l’apprécier, n’est-ce pas ?
- Oui, monsieur.
- A-t-il prononcé son nom ? Je la connais peut-être.
- C’est une demoiselle Bassett, monsieur. Mademoiselle Madeline Bassett.
- Hein ?
- Oui, monsieur. »
J’étais profondément surpris.
« Ca alors, Jeeves ! Qui l’eut cru. Un tout petit monde, n’est-ce pas, hein ?
- La demoiselle est une de vos connaissances, monsieur ?
- Je la connais bien. Cette nouvelle me rassure, Jeeves. Grâce à elle, toute l’affaire me parait maintenant nettement plus praticable.
- Vraiment, monsieur ?
- Absolument. J’avoue qu’avant que vous m’ayez donné cette information, j’étais profondément dubitatif quant aux chances de ce pauvre vieux Gussie de convaincre je ne sais quelle bergère de je ne sais quelle paroisse d’aller traîner à l’église en sa compagnie. Vous m’accorderez qu’il n’est pas le genre de tout un chacun.
- Il y a peut-être quelque chose de cela, monsieur.
- Cléopâtre ne l’aurait pas apprécié.
- Probablement pas, monsieur.
- Et je doute qu’il irait si bien que cela avec Tallulah Bankhead.
- Non, monsieur.
- Mais quand vous me dit que l’objet de son affection est mademoiselle Bassett, eh bien, alors, Jeeves, l’espoir commence à poindre. C’est justement le genre de gars qu’une fille comme Madeline Bassett récupérerait avec plaisir. »
Il me faut expliquer que cette Bassett était en visite à Cannes en même temps que nous, et que comme Angela s’était prise pour elle d’une de ces amitiés effervescentes qui frappent parfois les jeunes filles, j’avais largement eu l’occasion de la voir. En fait, à mes moments les plus grognons, il me semblait parfois ne pouvoir faire un pas sans me cogner les orteils sur cette dame.
Et ce qui rendait la chose si douloureuse et si désespérante, c’est que plus nous nous voyions, moins j’avais de choses à lui dire.
Vous savez comment cela se passe avec certaines filles. On dirait qu’elles vous vident de votre contenu. Je veux dire, il y a quelque chose dans leur personnalité qui paralyse les cordes vocales, et transforme le contenu du cerveau en chou-fleur. C’était ce qui m’arrivait avec cette Bassett, à tel point qu’en certaines occasions, on aurait pu observer, pendant plusieurs minutes d’affilée, Bertram Wooster tripotant sa cravate, piétinant sur place, et se comportant en sa présence à tous points de vue comme le parfait imbécile. Aussi, quand elle prit, quelque deux semaines avant nous, le chemin de retour, croyez bien que ce n’était, dans l’esprit de Bertram, pas un jour trop tôt.
Ce n’était pas sa beauté, notez bien, qui m’engourdissait ainsi. C’était une assez jolie fille, dans le genre langoureux, blond, avec des yeux en soucoupes, mais pas époustouflante à vous époustoufler.
Non, ce qui provoquait cette désintégration chez un orateur pourtant habituellement volubile à l’égard du sexe opposé, c’était son état d’esprit général. Comme je ne voudrais pas être méchant, je n’irai pas jusqu’à dire qu’elle écrivait des poèmes, mais sa conversation était, à mon avis, de nature à faire naître les plus sérieux soupçons. Enfin, je veux dire, quand une jeune fille vous demande comme ça, sans ambages, si vous n’avez jamais eu l’impression que les étoiles sont la guirlande du Bon Dieu, vous commencez à vous poser des questions.
La fusion de son âme et de la mienne n’était évidemment pas au programme. Mais avec Gussie, la situation était complètement différente. Ce qui m’avait bloqué – c-a-d que cette fille était manifestement remplie de d’idéaux, de sentiments et de machins – était tout à fait indiqué dans son cas.
Gussie avait toujours été un de ces oiseaux rêveurs et mélancoliques – on ne peut pas s’enfermer à la campagne et ne vivre que pour ses tritons si on n’en est pas un – et je ne voyais pas ce qui aurait pu l’empêcher, si on trouvait le moyen de lui tirer de la poitrine les mots sourds et enflammés qu’il fallait, de s’accorder avec la Bassett comme un œuf avec du jambon.
« C’est exactement le genre qu’il lui faut, dis-je.
- Je suis très heureux de l’entendre, monsieur.
- Et il est tout à fait son genre. En fin de compte, une bonne chose, qu’il convient d’encourager avec toute la vigueur possible. De toutes vos forces, Jeeves.
- Très bien, Monsieur, répondit le brave garçon. Je m’en occupe sans tarder. »
Jusqu’ici, vous conviendrez sans doute que régnait ce qu’on pourrait appeler une parfaite harmonie. Amicale conversation entre un employeur et son employé, tendre comme une noisette. Mais à cet instant, je l’avoue à regret, tout prit un tour désagréable. L’atmosphère changea soudain, des nuages d’orage se rassemblèrent, et avait que nous comprenions ce qui nous arrivait, une note discordante rebondissait sur scène. Ce n’était pas la première fois que cela se produisait chez les Wooster.
Le premier indice annonçant que quelque chose s’échauffait fut le son d’une toux douloureuse et réprobatrice aux environs du tapis. Il faut dire que pendant l’échange précédent, alors que, m’étant séché la charpente, je prenais le temps de m’habiller, enfilant ici une chaussette, là une chaussure, m’insérant dans le veston, la chemise, la cravate et les pantalons de golf, Jeeves était au niveau inférieur, déballant mes effets.
Il se releva, un objet blanc à la main. Et à sa vue, je compris qu’une nouvelle querelle domestique, était sur le point de se produire, que les volontés de deux hommes forts allaient hélas s’entrechoquer, et que s’il ne se rappelait pas ses vaillants ancêtres et ne défendait pas ses valeurs, Bertram allait se faire laminer.
Je ne sais pas si vous êtes allé à Cannes cet été, mais si vous y étiez, vous vous souvenez certainement que quiconque prétendait être corps et âme à la fête se devait d’assister aux beuveries du Casino vêtu de l’habituelle pantalonnade de soirée surmontée en cap d’un spencer blanc avec des boutons dorés. Et depuis que j’étais remonté dans le Train Bleu, à la gare de Cannes, je n’avais cessé de me demander comment le mien passerait auprès de Jeeves.
En matière de tenue de soirée, voyez-vous, Jeeves est un réactionnaire borné. Il m’a déjà fait des difficultés au sujet de chemises sans plastrons. Et même si ces spencers avaient été la dernière mode – tout ce qu’il y a de chic – sur la Côte d’Azur, je ne m’étais jamais caché, même lorsque je battais la mesure au Casino du Palm Beach, dans celui que je m’étais empressé d’acheter, qu’il causerait sans doute quelque agitation à mon retour.
Je me préparai à tenir bon.
« Oui, Jeeves ? » dis-je. Et même si ma voix restait douce, un observateur attentif qui aurait regardé mes yeux leur aurait trouvé un éclat métallique. Personne n’a pour l’intelligence de Jeeves un plus grand respect que moi, mais cette façon qu’il a de dicter sa volonté à la main qui le nourrit devait, à mon avis, être contrée. Cette veste de spencer était chère à mon cœur, et j’avais bien l’intention de me battre pour elle avec toute la vaillance du brave vieux Sieur de Wooster à la bataille d’Agincourt.
« Oui, Jeeves ? dis-je. Quelque chose vous tracasse, Jeeves ?
- Je crains que vous ayez quitté Cannes en emportant par inadvertance une veste appartenant à quelqu’un d’autre, monsieur. »
Je me fis encore plus métallique.
« Non, Jeeves, dis-je d’une voix égale, l’objet considéré m’appartient. Je l’ai acheté là-bas.
- Vous l’avez porté, monsieur ?
- Tous les soirs.
- Mais vous n’avez pas l’intention de le porter en Angleterre, monsieur ?
Je compris que nous touchions au cœur de problème.
- Si, Jeeves.
- Mais, monsieur –
- Vous disiez, Jeeves ?
- C’est tout à fait inapproprié, monsieur.
- Je ne partage pas votre avis, Jeeves. Je prédis à cette veste un grand succès mondain. Et j’ai l’intention de la présenter demain au public, lors de la soirée d’anniversaire de Pongo Twistleton, dont je suis convaincu qu’elle constituera, de bout en bout, l’attraction principale. Pas de dispute, Jeeves. Pas de discussion. Quelque incroyable objection vous puissiez avoir à son encontre, je porterai cette veste.
- Très bien, monsieur. »
Il reprit son déballage. Je n’ajoutai rien sur le sujet. J’avais remporté la victoire, et nous, Wooster, ne triomphons pas d’un ennemi défait. A présent, ayant terminé ma toilette, je lui lançai un amical au revoir, et, dans une disposition généreuse, suggérai que, comme je dînais dehors, il prît sa soirée, et allât voir un film éducatif, ou quelque chose du genre. Une sorte de rameau d’olivier, si vous voyez ce que je veux dire.
« Merci, monsieur, mais je vais rester à la maison. »
Je le dévisageai attentivement.
« Vous êtes contrarié, Jeeves ?
- Non, monsieur, mais je suis forcé de rester sur les lieux. Monsieur Fink-Nottle m’a fait savoir qu’il passerait me voir ce soir.
- Oh, Gussie vient vous voir, n’est-ce pas ? Eh bien, embrassez-le de ma part.
- Très bien, monsieur.
- Bien bien, Jeeves. »
Puis, je partis pour les Drones.
Là-bas, je tombais sur Pongo Twistleton, qui me parla tellement de sa sauterie prochaine, dont mes correspondants m’avaient déjà fait une description flatteuse, qu’il était bientôt onze heures quand je rentrai chez moi.
J’avais à peine ouvert la porte quand j’entendis des voix dans le salon, et j’étais à peine entré dans le salon quand je découvris qu’elles provenaient de Jeeves et de ce qui ressemblait à première vue au Diable.
Un examen plus approfondi m’apprit qu’il s’agissait de Gussie Fink-Nottle, déguisé en Méphistophélès.
- Certainement, Monsieur.
- Ce que j’ai à dire pourrait vous blesser.
- Pas du tout, monsieur.
- Bien, alors… »
Non – attendez. Restez en ligne une minute. Je déraillais.
Je ne sais pas si vous en avez aussi fait l’expérience, mais l’os sur lequel je tombe à chaque fois que je raconte une histoire, c’est cette question bigrement difficile. Où commencer. C’est un point sur lequel on ne doit pas se tromper, un faux pas et vous êtes cuit. Je veux dire, si vous traînez trop longtemps au début, en essayant, comme ils disent, de créer une atmosphère, tout ce genre de trucs, vous n’accrochez pas et vos clients s’en vont.
Démarrez en trombe, à l’inverse, comme un chat ébouillanté, et votre public est perdu. Il se contente de lever les sourcils, sans comprendre ce dont vous parlez.
Aussi, en ouvrant mon récit de la délicate affaire de Gussie Fink-Nottle, Madeline Bassett, ma cousine Angela, ma tante Dahlia, mon oncle Thomas, du jeune Tuppy Glossop et du cuisinier Anatole sur l’extrait de dialogue ci-dessus, je vois que je viens de commettre la seconde de ces deux bourdes.
Il faut que je revienne un peu en arrière. Et l’un dans l’autre et pesant chaque chose, je crois qu’on pourrait dire que le prologue, si prologue est bien le mot que je cherche, de cette histoire est le voyage que j’ai fait à Cannes. Si je n’étais pas allé à Cannes, je n’aurais pas rencontré la Basset, ni acheté ce spencer blanc, et Angela n’aurait pas vu son requin, et tante Dahlia n’aurait pas joué au baccarat.
Oui, c’est l’évidence, Cannes fut le point d’appui.
Bien bien, alors. Rassemblons nos faits.
J’étais parti pour Cannes – laissant derrière moi Jeeves qui m’avait fait comprendre qu’il ne voulait pas rater Ascot – tout juste vers le début de mois de Juin. Je voyageais avec ma tante Dahlia et sa fille, Angela. Tuppy Glossop, le fiancé d’Angela, était censé nous accompagner mais avait dû se décommander à la dernière minute. Oncle Tom, le mari de tante Angela, était resté à la maison, parce qu’il ne se taperait le Sud de la France à aucun prix.
Donc vous avez le tableau – la tante Dahlia, la cousine Angela et moi, partant pour Cannes juste au début de Juin.
Jusque-là tout est clair, hein ?
Nous sommes restés à Cannes environ deux mois, et en dehors du fait que la tante Dahlia perdit sa chemise au baccarat, et qu’Angela faillit se faire aspirer par un requin en faisant de l’aquaplane, chacun y passa d’excellents moments.
Le vingt-cinq juillet, l’air bronzé et bien portant, je raccompagnais la tante et sa fille à Londres. Le vingt-six juillet à sept heures du soir, nos débarquâmes à Victoria. Et à sept heures vingt à peu de chose près, nous nous séparâmes dans des transports d’affection partagée – elles se tirant dans la voiture de tante Dahlia pour Brinkley Court, sa maison dans le Worcestershire, où elle comptaient recevoir Tuppy d’ici un jour ou deux; moi rentrant à l’appartement, posant mes valises, faisant un brin de toilette, et enfilant la queue de pie préalable à un tour du côté des Drones pour y manger un morceau.
Et c’est alors que j’étais à l’appartement, m’essuyant le torse après un rinçage bien mérité, que Jeeves, comme nous bavardions de choses et d’autres – raccrochant les fils, en fait – introduisit soudain dans la conversation le nom de Gussie Fink-Nottle.
Si ma mémoire est bonne, notre dialogue ressemblait à ceci :
MOI : Eh bien, Jeeves, nous y voila, hein ?
JEEVES : Oui, monsieur.
MOI : Enfin je veux dire, de retour chez soi.
JEEVES : Précisément, monsieur.
MOI : J’ai l’impression d’être parti depuis une éternité.
JEEVES : Oui, monsieur
MOI : Vous vous être bien amusé à Ascot ?
JEEVES : Très agréable, monsieur.
MOI : Gagné quelque chose ?
JEEVES : Une somme tout à fait correcte, merci, monsieur.
MOI : Bien. Alors, Jeeves, quelles nouvelles en mon absence ? Quelqu’un a téléphoné, est passé, quoi que ce soit, pendant mes vacs. ?
JEEVES : Mr Fink-Nottle, monsieur, vous a rendu de fréquentes visites.
J’écarquillai. En fait, ce ne serait pas exagérer de dire que je béai.
« Monsieur Fink-Nottle ?
- Oui, monsieur.
- Vous avez dit Monsieur Fink-Nottle ?
- Oui, monsieur.
- Mais monsieur Fink-Nottle n’est pas à Londres ?
- Si, monsieur.
- Eh bien, j’en suis épaté. »
Et je vais vous dire pourquoi j’étais épaté. Je trouvais à peine possible d’accorder foi à cette affirmation. Ce Fink-Nottle, voyez-vous, était un de ces dingues dont on croise de temps en temps la trajectoire et qui ne supportent pas Londres. Il habitait, bon an mal an, couvert de mousse, un village perdu dans le Lincolnshire, et ne remontait même pas pour le match Eton contre Harrow. Et quand je lui demandai, un jour, s’il ne trouvait pas le temps un peu long, il me répondit que non, parce qu’il avait dans son jardin un étang où il étudiait les mœurs des tritons.
Je n’arrivais pas à imaginer ce qui avait pu ramener ce garçon dans la grande ville. J’aurais été prêt à parier que tant que la réserve de tritons n’était pas épuisée, rien n’aurait pu le tirer de son village.
« Vous en êtes certain ?
- Oui, monsieur.
- Vous ne vous êtes pas trompé de nom ? Fink-Nottle ?
- Oui, monsieur.
- Eh bien, c’est tout à fait extraordinaire. Cela doit faire au moins cinq ans qu’il n’est pas venu à Londres. Il ne se cache pas du fait que cette ville lui donne le cafard. Et jusqu’à présent, il est toujours resté collé dans sa campagne, tout entouré de tritons.
- Monsieur ?
- De tritons, Jeeves. Monsieur Fink-Nottle présente un sérieux complexe du triton. Vous avez certainement entendu parler des tritons, ces espèces de petits lézards qui grouillent dans les étangs.
- Oh, oui, monsieur. Ces membres aquatiques de la famille des Salamandridae, qui constituent le genre Molge.
- Voila. Eh bien, Gussie en a toujours été dingue. Il en élevait déjà à l’école.
- Je crois que c’est assez courant, chez les jeunes gens, monsieur.
- Il les gardait dans son bureau, dans une espèce d’assemblage de bocaux de verre, et l’ensemble était plutôt malodorant, je me souviens. Je suppose qu’on aurait pu, dès lors, deviner comment tout cela finirait, mais vous savez comment sont les jeunes gens. Insouciants, négligents, tout à nos propres affaires, nous faisions à peine attention à ce côté bizarre du caractère de Gussie. Peut-être avons-nous échangé une remarque ou deux à son sujet, dit qu’il fallait de tout pour faire un monde, mais rien de plus. Et vous pouvez imaginer la suite. Le mal s’est répandu.
- Vraiment, monsieur ?
- Absolument, Jeeves. Sa passion l’a dévoré. Les tritons l’ont emporté. Arrivé à l’âge d’homme, il s’est retiré dans les profondeurs de la campagne, et a voué son existence à ses camarades abrutis. Je suppose qu’il s’est longtemps dit qu’il les quittait quand il voulait, avant de découvrir – trop tard - qu’il n’en était plus capable.
- C’est souvent le cas, monsieur.
- Hélas, Jeeves. Quoi qu’il en soit, il a passé les cinq dernières années dans cet endroit dans le Lincolnshire, le plus véritable ermite fuyant ses semblables qui ait jamais changé un jour sur deux l’eau de ses bocaux et refusé de recevoir quiconque. C’est pourquoi j’ai été stupéfait quand vous m’avez annoncé qu’il était soudain remonté à la surface. Je n’arrive toujours pas à le croire. J’ai tendance à penser qu’il doit s’agir d’une erreur, et que cet oiseau qui nous a rendu visite est une variété différente de Fink-Nottle. Le gars que je connais porte des lunettes à monture d’écaille, et un visage de poisson. Cela s’accorde-t-il avec vos observations ?
- Le jeune homme qui est venu à l’appartement portait des lunettes à monture d’écaille, monsieur.
- Et semblait posé sur un étal ?
- Il laissait peut-être une légère impression piscicole, monsieur.
- Alors je suppose que c’était Gussie. Mais quelle diable d’affaire a pu l’amener à Londres ?
- Je suis en position de l’expliquer, monsieur. Monsieur Fink-Nottle m’a confié le motif de sa visite à la métropole. Il est venu parce qu’une jeune femme s’y trouve.
- Une jeune femme ?
- Oui, monsieur.
- Ne me dites pas qu’il est amoureux.
- Si, monsieur.
- Eh bien, je suis sidéré. Je suis vraiment sidéré. Positivement sidéré, Jeeves. »
Et je l’étais vraiment. Je veux dire, rien de tel qu’une bonne blague, mais il y a des limites.
Puis, je sentis mon esprit se tourner vers un autre aspect de cette curieuse affaire. Admettant que Gussie Fink-Nottle, contre toutes les lois du bon sens, ait pu tomber amoureux, pourquoi venait-il ainsi hanter mon appartement ? Sans doute était-ce une de ces situations où l’on a besoin d’un ami, mais je ne voyais pas pour quelle raison c’était moi qu’il avait choisi.
Ce n’était pas comme si lui et moi étions de quelque façon intimes. Bien sûr, à une époque, nous nous étions beaucoup vus, mais sur les deux dernières années, je n’avais même pas reçu une carte de sa part.
J’exposais la chose à Jeeves.
« Etrange qu’il soit venu me voir. Bon, s’il l’a fait, c’est qu’il l’a fait. Il n’y a rien à y redire. Cela a dû lui mettre un sale coup, pauvre drôle, quand il vu que je n’étais pas là.
- Non, monsieur. Monsieur Fink-Nottle n’est pas venu vous voir, monsieur.
- Reprenez-vous, Jeeves. Vous venez de m’expliquer que c’était ce qu’il avait fait, et assidûment, de surcroît.
- C’est avec moi qu’il était désireux d’entrer en contact, monsieur.
- Vous ? Je ne savais pas que vous l’aviez rencontré auparavant.
- Avant sa visite, je n’avais pas eu ce plaisir, monsieur. Mais il semble que Monsieur Sipperley, un condisciple de Monsieur Fink-Nottle à l’université, lui a recommandé de placer son affaire entre mes mains. »
Le mystère était éclairci. Je comprenais tout. Comme j’imagine que vous le savez, la réputation de Jeeves comme conseiller est depuis longtemps établie dans la société éclairée, et le premier mouvement de quiconque, dans mon petit cercle, se retrouvait dans n‘importe quel pétrin, était toujours de rouler par ici et de lui présenter les choses. Et quand il avait tiré A d’une sale affaire, A le présentait à B. Et puis, quand il avait arrangé B, B lui envoyait C. Et ainsi de suite, si vous voyez ce que je veux dire, et encore.
C’est ainsi que les grosses affaires de conseil, comme celle de Jeeves, se développent. Le vieux Sippy avait, je crois, été profondément impressionné par ses interventions en sa faveur, à l’époque où il essayait de se fiancer à Elizabeth Moon. Aussi, il n’y avait rien d’étonnant à ce qu’il conseille à Gussie de faire appel à Jeeves. C’était la routine, si vous voulez.
« Oh, vous travaillez pour lui, n’est-ce pas ?
- Oui monsieur
- Je vois maintenant. Je comprends maintenant. Et quel est le problème de Gussie ?
- Curieusement, monsieur, précisément le même que celui de monsieur Sipperley quand j’avais eu l’occasion de lui être utile. Vous vous souvenez sans doute des embarras de monsieur Sipperley, monsieur. Profondément attaché à mademoiselle Moon, il souffrait d’une appréhension si ancrée qu’il lui était impossible de lui parler. »
J’acquiesçais.
« Je me le rappelle. Oui, je me souviens de l’affaire Sipperley. Il n’arrivait pas à aller au contact. Un traînement marqué des pieds, n’est-ce pas. Et il me revient que vous disiez qu’il laissait – qu’était-ce donc ? – laissait quelque chose faire autre chose. Il y avait des chats dedans, je ne m’abuse.
- Laissait un « je n’ose » suivre un « je voudrais », monsieur
- C’est cela. Et pour les chats ?
- Comme le pauvre chat de l’adage, monsieur.
- Exactement. Je ne comprends pas comment vous retrouvez tous ces trucs. Et Gussie, dites-vous, a le même problos ?
- Oui, monsieur. A chaque fois qu’il tente de formuler une demande en mariage, le courage lui manque.
- Et pourtant, s’il veut que cette femme devienne la sienne, il va falloir qu’il le dise, hein ? Je veux dire, c’est la moindre des politesses.
- Précisément, monsieur. »
Je réfléchissais.
« Eh bien, je suppose que c’était inévitable, Jeeves. Je n’aurais pas cru que ce Fink-Nottle tombe jamais victime de la divine p., mais, quand cela arrive, il n’y a rien d’étonnant à ce qu’il trouve le chemin rude.
- Oui, monsieur.
- Regardez la vie qu’il a menée.
- Oui, monsieur.
- Je ne crois pas qu’il ait parlé à une fille depuis des années. Quelle belle leçon pour nous, Jeeves, de ne pas aller nous enfermer à la campagne à contempler des bocaux de verre. On ne peut être un mâle dominant quand on fait ce genre de choses. Dans cette vie, il faut choisir entre deux routes : soit s’enfermer à la campagne à contempler des bocaux, soit avoir du succès auprès du sexe opposé. On ne peut avoir les deux.
- Non, monsieur. »
Je réfléchissais encore. Comme je l’ai dit, Gussie et moi avions passablement perdu le contact, mais j’étais pourtant touché par le pauvre animal, comme je le suis à chaque fois qu’un de mes copains, proche ou éloigné, se retrouve à marcher sur une des peaux de bananes de la Vie. Et il me semblait que c’était bien ce qui l’attendait.
Je me reportais en esprit à la dernière fois que je l’avais vu. C’était il y environ deux ans. J’étais allé le voir chez lui, à l’occasion d’un circuit en voiture, et il m’avait tout de suite coupé l’appétit en invitant à la table du déjeuner une paire de choses vertes avec des pattes, qu’il dorlotait comme une jeune mère, avant de perdre l’une des deux dans la salade. Cette scène, maintenant bien devant mes yeux, ne m’inspirait aucune confiance quant à la capacité de ce pauvre imbécile à séduire et conquérir, je dois dire. Surtout si la jeune fille qu’il avait repérée était une de ces dures canailles d’aujourd’hui, tout rouge à lèvre et regards froids, durs et sardoniques, sans doute.
« Dites-moi, Jeeves, dis-je, me préparant au pire, quel genre de fille est cette amie de Gussie ?
- Je n’ai pas rencontré la demoiselle, monsieur. Monsieur Fink-Nottle n’a que des compliments pour ses attraits.
- Il a l’air de l’apprécier, n’est-ce pas ?
- Oui, monsieur.
- A-t-il prononcé son nom ? Je la connais peut-être.
- C’est une demoiselle Bassett, monsieur. Mademoiselle Madeline Bassett.
- Hein ?
- Oui, monsieur. »
J’étais profondément surpris.
« Ca alors, Jeeves ! Qui l’eut cru. Un tout petit monde, n’est-ce pas, hein ?
- La demoiselle est une de vos connaissances, monsieur ?
- Je la connais bien. Cette nouvelle me rassure, Jeeves. Grâce à elle, toute l’affaire me parait maintenant nettement plus praticable.
- Vraiment, monsieur ?
- Absolument. J’avoue qu’avant que vous m’ayez donné cette information, j’étais profondément dubitatif quant aux chances de ce pauvre vieux Gussie de convaincre je ne sais quelle bergère de je ne sais quelle paroisse d’aller traîner à l’église en sa compagnie. Vous m’accorderez qu’il n’est pas le genre de tout un chacun.
- Il y a peut-être quelque chose de cela, monsieur.
- Cléopâtre ne l’aurait pas apprécié.
- Probablement pas, monsieur.
- Et je doute qu’il irait si bien que cela avec Tallulah Bankhead.
- Non, monsieur.
- Mais quand vous me dit que l’objet de son affection est mademoiselle Bassett, eh bien, alors, Jeeves, l’espoir commence à poindre. C’est justement le genre de gars qu’une fille comme Madeline Bassett récupérerait avec plaisir. »
Il me faut expliquer que cette Bassett était en visite à Cannes en même temps que nous, et que comme Angela s’était prise pour elle d’une de ces amitiés effervescentes qui frappent parfois les jeunes filles, j’avais largement eu l’occasion de la voir. En fait, à mes moments les plus grognons, il me semblait parfois ne pouvoir faire un pas sans me cogner les orteils sur cette dame.
Et ce qui rendait la chose si douloureuse et si désespérante, c’est que plus nous nous voyions, moins j’avais de choses à lui dire.
Vous savez comment cela se passe avec certaines filles. On dirait qu’elles vous vident de votre contenu. Je veux dire, il y a quelque chose dans leur personnalité qui paralyse les cordes vocales, et transforme le contenu du cerveau en chou-fleur. C’était ce qui m’arrivait avec cette Bassett, à tel point qu’en certaines occasions, on aurait pu observer, pendant plusieurs minutes d’affilée, Bertram Wooster tripotant sa cravate, piétinant sur place, et se comportant en sa présence à tous points de vue comme le parfait imbécile. Aussi, quand elle prit, quelque deux semaines avant nous, le chemin de retour, croyez bien que ce n’était, dans l’esprit de Bertram, pas un jour trop tôt.
Ce n’était pas sa beauté, notez bien, qui m’engourdissait ainsi. C’était une assez jolie fille, dans le genre langoureux, blond, avec des yeux en soucoupes, mais pas époustouflante à vous époustoufler.
Non, ce qui provoquait cette désintégration chez un orateur pourtant habituellement volubile à l’égard du sexe opposé, c’était son état d’esprit général. Comme je ne voudrais pas être méchant, je n’irai pas jusqu’à dire qu’elle écrivait des poèmes, mais sa conversation était, à mon avis, de nature à faire naître les plus sérieux soupçons. Enfin, je veux dire, quand une jeune fille vous demande comme ça, sans ambages, si vous n’avez jamais eu l’impression que les étoiles sont la guirlande du Bon Dieu, vous commencez à vous poser des questions.
La fusion de son âme et de la mienne n’était évidemment pas au programme. Mais avec Gussie, la situation était complètement différente. Ce qui m’avait bloqué – c-a-d que cette fille était manifestement remplie de d’idéaux, de sentiments et de machins – était tout à fait indiqué dans son cas.
Gussie avait toujours été un de ces oiseaux rêveurs et mélancoliques – on ne peut pas s’enfermer à la campagne et ne vivre que pour ses tritons si on n’en est pas un – et je ne voyais pas ce qui aurait pu l’empêcher, si on trouvait le moyen de lui tirer de la poitrine les mots sourds et enflammés qu’il fallait, de s’accorder avec la Bassett comme un œuf avec du jambon.
« C’est exactement le genre qu’il lui faut, dis-je.
- Je suis très heureux de l’entendre, monsieur.
- Et il est tout à fait son genre. En fin de compte, une bonne chose, qu’il convient d’encourager avec toute la vigueur possible. De toutes vos forces, Jeeves.
- Très bien, Monsieur, répondit le brave garçon. Je m’en occupe sans tarder. »
Jusqu’ici, vous conviendrez sans doute que régnait ce qu’on pourrait appeler une parfaite harmonie. Amicale conversation entre un employeur et son employé, tendre comme une noisette. Mais à cet instant, je l’avoue à regret, tout prit un tour désagréable. L’atmosphère changea soudain, des nuages d’orage se rassemblèrent, et avait que nous comprenions ce qui nous arrivait, une note discordante rebondissait sur scène. Ce n’était pas la première fois que cela se produisait chez les Wooster.
Le premier indice annonçant que quelque chose s’échauffait fut le son d’une toux douloureuse et réprobatrice aux environs du tapis. Il faut dire que pendant l’échange précédent, alors que, m’étant séché la charpente, je prenais le temps de m’habiller, enfilant ici une chaussette, là une chaussure, m’insérant dans le veston, la chemise, la cravate et les pantalons de golf, Jeeves était au niveau inférieur, déballant mes effets.
Il se releva, un objet blanc à la main. Et à sa vue, je compris qu’une nouvelle querelle domestique, était sur le point de se produire, que les volontés de deux hommes forts allaient hélas s’entrechoquer, et que s’il ne se rappelait pas ses vaillants ancêtres et ne défendait pas ses valeurs, Bertram allait se faire laminer.
Je ne sais pas si vous êtes allé à Cannes cet été, mais si vous y étiez, vous vous souvenez certainement que quiconque prétendait être corps et âme à la fête se devait d’assister aux beuveries du Casino vêtu de l’habituelle pantalonnade de soirée surmontée en cap d’un spencer blanc avec des boutons dorés. Et depuis que j’étais remonté dans le Train Bleu, à la gare de Cannes, je n’avais cessé de me demander comment le mien passerait auprès de Jeeves.
En matière de tenue de soirée, voyez-vous, Jeeves est un réactionnaire borné. Il m’a déjà fait des difficultés au sujet de chemises sans plastrons. Et même si ces spencers avaient été la dernière mode – tout ce qu’il y a de chic – sur la Côte d’Azur, je ne m’étais jamais caché, même lorsque je battais la mesure au Casino du Palm Beach, dans celui que je m’étais empressé d’acheter, qu’il causerait sans doute quelque agitation à mon retour.
Je me préparai à tenir bon.
« Oui, Jeeves ? » dis-je. Et même si ma voix restait douce, un observateur attentif qui aurait regardé mes yeux leur aurait trouvé un éclat métallique. Personne n’a pour l’intelligence de Jeeves un plus grand respect que moi, mais cette façon qu’il a de dicter sa volonté à la main qui le nourrit devait, à mon avis, être contrée. Cette veste de spencer était chère à mon cœur, et j’avais bien l’intention de me battre pour elle avec toute la vaillance du brave vieux Sieur de Wooster à la bataille d’Agincourt.
« Oui, Jeeves ? dis-je. Quelque chose vous tracasse, Jeeves ?
- Je crains que vous ayez quitté Cannes en emportant par inadvertance une veste appartenant à quelqu’un d’autre, monsieur. »
Je me fis encore plus métallique.
« Non, Jeeves, dis-je d’une voix égale, l’objet considéré m’appartient. Je l’ai acheté là-bas.
- Vous l’avez porté, monsieur ?
- Tous les soirs.
- Mais vous n’avez pas l’intention de le porter en Angleterre, monsieur ?
Je compris que nous touchions au cœur de problème.
- Si, Jeeves.
- Mais, monsieur –
- Vous disiez, Jeeves ?
- C’est tout à fait inapproprié, monsieur.
- Je ne partage pas votre avis, Jeeves. Je prédis à cette veste un grand succès mondain. Et j’ai l’intention de la présenter demain au public, lors de la soirée d’anniversaire de Pongo Twistleton, dont je suis convaincu qu’elle constituera, de bout en bout, l’attraction principale. Pas de dispute, Jeeves. Pas de discussion. Quelque incroyable objection vous puissiez avoir à son encontre, je porterai cette veste.
- Très bien, monsieur. »
Il reprit son déballage. Je n’ajoutai rien sur le sujet. J’avais remporté la victoire, et nous, Wooster, ne triomphons pas d’un ennemi défait. A présent, ayant terminé ma toilette, je lui lançai un amical au revoir, et, dans une disposition généreuse, suggérai que, comme je dînais dehors, il prît sa soirée, et allât voir un film éducatif, ou quelque chose du genre. Une sorte de rameau d’olivier, si vous voyez ce que je veux dire.
« Merci, monsieur, mais je vais rester à la maison. »
Je le dévisageai attentivement.
« Vous êtes contrarié, Jeeves ?
- Non, monsieur, mais je suis forcé de rester sur les lieux. Monsieur Fink-Nottle m’a fait savoir qu’il passerait me voir ce soir.
- Oh, Gussie vient vous voir, n’est-ce pas ? Eh bien, embrassez-le de ma part.
- Très bien, monsieur.
- Bien bien, Jeeves. »
Puis, je partis pour les Drones.
Là-bas, je tombais sur Pongo Twistleton, qui me parla tellement de sa sauterie prochaine, dont mes correspondants m’avaient déjà fait une description flatteuse, qu’il était bientôt onze heures quand je rentrai chez moi.
J’avais à peine ouvert la porte quand j’entendis des voix dans le salon, et j’étais à peine entré dans le salon quand je découvris qu’elles provenaient de Jeeves et de ce qui ressemblait à première vue au Diable.
Un examen plus approfondi m’apprit qu’il s’agissait de Gussie Fink-Nottle, déguisé en Méphistophélès.
Libellés :
anglais,
PG Wodehouse (1881-1975)
jeudi 8 mai 2014
Yu Jian - 117 (septième cran)
J’ai toujours voulu atteindre le septième cran de ma ceinture
Au septième cran ma taille
Satisfait enfin à la norme collective
Au neuvième je suis plus à mon aise plus détendu
Comme un hippopotame ou la rivière en crue qui le submerge
Mais toute ma vie j’ai lutté pour le septième cran
Comme une conspiration jamais déjouée
Derrière mon ventre
我总是想抵达皮带的第七个扣
在第七扣 我的腰围
才符合公有制的标准
但在第九扣我最舒适 最放松
象河马 象漫过河马的洪水
但一生我都在为第七扣斗争
象阴谋 象肚皮后面
永不溃败的阴谋
Au septième cran ma taille
Satisfait enfin à la norme collective
Au neuvième je suis plus à mon aise plus détendu
Comme un hippopotame ou la rivière en crue qui le submerge
Mais toute ma vie j’ai lutté pour le septième cran
Comme une conspiration jamais déjouée
Derrière mon ventre
我总是想抵达皮带的第七个扣
在第七扣 我的腰围
才符合公有制的标准
但在第九扣我最舒适 最放松
象河马 象漫过河马的洪水
但一生我都在为第七扣斗争
象阴谋 象肚皮后面
永不溃败的阴谋
Libellés :
chinois (moderne),
Yu Jian 于坚 (1954-)
jeudi 1 mai 2014
Li Bai - Nuit calme
Devant mon lit le clair de lune
Semble du givre sur le sol
Levant la tête je contemple l’astre
Puis baisse les yeux et pense à mon pays
床前明月光
疑是地上霜
举头望明月
低头思故乡
Semble du givre sur le sol
Levant la tête je contemple l’astre
Puis baisse les yeux et pense à mon pays
床前明月光
疑是地上霜
举头望明月
低头思故乡
Libellés :
Li Bai 李白 (701-762)
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